En 1732, Haendel dévoilait sur la scène du King’s Theatre à Londres une nouvelle version d’Acis and Galatea, chantée à la fois en anglais et italien. Une part de l’œuvre était inédite, mais la majeure partie provenait de deux précédentes versions : la Serenata Aci, Galatea e Polifemo créée à Naples en 1708 et le masque anglais écrit en 1718 pour le théâtre privé du duc de Chandos.
C’est encore une autre version de l’œuvre – inédite depuis sa création – qui est donnée ce soir à la Salle Cortot. En 1736, Haendel repart de la version de 1732 en modifiant certains numéros et en transposant le rôle d’Acis pour ténor. Pour les besoins de la représentation de ce soir, les personnages secondaires ainsi que les chœurs ont été supprimés. En l’absence de surtitres, l’équipe artistique a eu la riche idée de faire alterner les parties musicales avec des lectures de textes. Judicieusement choisis, dans un répertoire allant d’Ovide à Maupassant en passant par Victor Hugo, ces extraits sont élégamment déclamés par la comédienne Jeanne Vitez. Ce dispositif permet de clarifier la structure narrative de l’œuvre et d’animer la représentation par de jolis clins d’œil, dont un emprunté à François Truffaut : « Tu es beau Acis, si beau que te regarder est une souffrance. – Hier, tu disais que c’était une joie ! – C’est une joie et une souffrance. »
Le rôle de Galatea fut chanté en 1736 par la prima donna Anna Maria Strada del Pò, qui venait de créer le rôle d’Alcina au cours de la saison précédente à Londres. En nymphe marine, Maria Ladurner convainc dès son air d’entrée, « Hush, ye pretty, pretty warbling choir ! », tant par la délicatesse de la ligne vocale et des ornements que par la beauté du timbre. Dans l’étonnant « Come la rondinella » (avec l’excellent clavecin obbligato de Chloé de Guillebon), la soprano se révèle très touchante.
Chanté par des castrats soprano (en 1708) et alto (en 1732, le fameux Senesino), le rôle d’Acis fut confié à un ténor dans sa version anglaise (en 1718). Il resta dans cette tessiture pour la reprise en 1736, chanté alors par rien moins que John Beard, qui, jusqu’à Jephta (1752), allait créer tant de rôles haendéliens. En berger sicilien, Marco Angioloni fait montre d’agilité et d’investissement dramatique constants (très beaux récitatifs), avec un souffle qui lui permet d’impressionnantes cadences en fin d’aria.
Dans la version de 1736, le rôle de Polifemo a été profondément remanié, dans une tessiture plus centrale et avec un étonnant ajout extrait de la Cantate « Mi palpito il cor » pour son entrée. Dans notre chronique de son récent album consacré à Caldara, nous écrivions à quel point la voix d’Alexandre Baldo semblait adaptée aux grands rôles de basse de Haendel. Le jeune baryton-basse, à la projection spectaculaire, amplifiée par l’excellente acoustique de la Salle Cortot, y brille en effet par sa virtuosité et par une belle homogénéité sur toute la tessiture. Dans « Ferito son d’amore » (version italienne du plus connu « O ruddier than the cherry » de 1718), Alexandre Baldo séduit par un dialogue amusé avec la flûte à bec.
Le dynamisme du jeune Ensemble Mozaïque, jouant à un par partie, fait plaisir à voir. Très investis, jouant de façon précise et alerte, chacun y brille, des violons de Gabriele Toscani et Simone Pirri au toujours inventif théorbe d’Elias Conrad. Au clavecin, Chloé de Guillebon anime l’ensemble avec rigueur et imagination. Précisons enfin que cette belle représentation a pu voir le jour grâce au soutien de Philbarock, structure dont la mission est de produire et promouvoir de jeunes artistes professionnels en début de carrière, principalement dans les domaines de la musique baroque.