Très rare sur les scènes lyriques, Flavio, Re de’ Longobardi fut créé en 1723, quelques années après la fondation par Haendel de la Royal Academy of Music à Londres. Ce dramma per musica, relativement court, a peu d’équivalents dans l’œuvre du compositeur, le livret mêlant éléments tragiques, comiques et parodiques, ce qui n’est pas sans rappeler son Agrippina vénitienne. Tombé dans l’oubli jusqu’en 1967, l’œuvre a ensuite bénéficié d’une résurrection salutaire à la scène et au disque grâce à René Jacobs.
Pour cette production du Festival Bayreuth Baroque, la partition a été largement enrichie de plusieurs intermèdes instrumentaux composés par Haendel, Telemann ou Matthew Locke. Ceux-ci illustrent à la fois les changements de décor ou certaines des scènes ajoutées, à l’instar de celle où l’on voit une dame de la cour interpréter l’ariette française « Vos mespris chaque jour » de Michel Lambert. Le décor conçu par Helmut Stürmer est constitué d’un ensemble de panneaux tournants, enrichi de certains éléments (le grand lit à baldaquin, la table de billard, le lustre) qui vont et viennent au gré de l’action. La somptuosité des costumes et des perruques de Corina Gramaosteanu ajoute à la beauté de l’ensemble, sans parler du cadre intimiste et enchanteur du lieu, le Markgräfliches Opernhaus de Bayreuth.
L’opéra de Haendel narre la rivalité entre deux conseillers du roi Flavio de Lombardie, Ugone et Lotario, et l’épisode tragique, façon Le Cid, qui s’en suit : Guido, fils d’Ugone tue en duel Lotario, père de sa bien-aimée Emilia. En parallèle, on suit également les mésaventures d’un couple secondaire : Teodata (sœur de Guido, dont Flavio tombe amoureux), éprise de Vitige (proche de Flavio). Transposant l’action du Moyen Âge à une cour à la Versailles, la mise en signe signée Max Emanuel Cenčić sait parfaitement tirer profit de l’ambivalence du livret en mêlant à l’action, qui reste parfaitement lisible, un monde de débauche et de cruauté. C’est drôle et finement réalisé, même si on peut trouver que la dimension seria n’y a que trop rarement sa place.
© Falk von Traubengerg
Julia Lezhneva affiche une technique toujours superlative, de la précision des coloratures à un trille presque irréel, triomphant ainsi sans peine des deux piquantes arias « Quanto dolci, quanto care » et « Amante stravagante ». Prima donna jusqu’au bout des ongles, elle ajoute cadences et interpolations dans chacune de ses six arias, et jusque que dans les récitatifs. On ne peut qu’admirer la performance, comme en témoigne l’ébouriffant « Da te parto » au troisième acte. Toutefois, cette course insensée vers le risque vocal trouve parfois ses limites. Dans « Ma chi punir desio ? » qui clôt le second acte, la sublime sicilienne en fa dièse mineur, écrite par Haendel pour Francesca Cuzzoni, se noie dans des variations hors de propos.
En Guido, Max Emanuel Cenčić démontre une fois de plus sa parfaite adéquation aux rôles créés par le castrat Senesino, dont il épouse parfaitement la tessiture. Dans « Bel contento », la projection est royale, et dans le célèbre « Rompo i lacci », plus rien ne semble arrêter la virtuosité du contre-ténor. Monika Jägerová est une Teodata fougueuse, au beau timbre de contralto et dont la voix épouse à merveille celle de Yuriy Mynenko. Celui-ci, bien qu’un peu tendu dans l’aigu, fait preuve d’une belle présence. En Flavio, Rémy Brès-Feuillet est scéniquement irrésistible, jouant avec humour le rôle de satyre que la mise en scène lui assigne. Dans les positions les plus inhabituelles – que ce soit au lit honorant la Reine ou dans un bain coquinement lavé à la brosse par Vitige –, il n’oublie pas de faire valoir le chant, dans un style haendélien impeccable. En pères rivaux, Sreten Manojlovic et Fabio Trümpy complètent cette distribution sans faille.
Dans la fosse, Benjamin Bayl étonne au premier acte par des tempi extrêmement rapides, à tel point qu’on en vient à se demander si instrumentistes et chanteurs parviendront sans trébucher au bout de certains airs ! Mais le chef britannique peut s’appuyer sur un Concerto Köln aussi vif que puissant. En outre, ce dynamisme fait parfaitement écho à celui de la mise en scène, et n’oublie pas de faire part de temps à autre à des moments d’une belle sensibilité, en particulier dans certains récitatifs accompagnés.
Encore plus que la somme des parties, dont on a vu que certaines ont leurs limites, ce Flavio, vaut par sa cohérence d’ensemble, scénique et musicale, qui transporte du début jusqu’à la fin. Accueilli par une salle en délire, il montre une nouvelle fois que le public est prêt à accueillir toute proposition, dès lors que celle-ci ne repose pas sur un concept abscons, mais sur un réel travail respectant à la fois texte et musique.
Il est possible de visionner le spectacle sur le site de BR Klassik.