Entre oratorio et opera seria, le Hercule de Haendel est une partition très riche, composée à Londres en 1744 mais remaniée à deux reprises en 49 et 52, sans doute parce que la première version avait été un échec. Nonobstant le titre, le rôle central de l’intrigue, un terrible drame de la jalousie, est Déjanire, l’épouse du Héros. Croyant son époux amoureux de la belle captive Iole, elle lui fait endosser la tunique de Nessus, sensée ranimer les flammes de l’amour, mais le malheureux Hercules périt dans les flammes de cet embrasement. En fait, c’est le fils d’Hercules, Hyllus, qui était épris de la belle et qui finira par l’épouser sur ordre de Jupiter.
Une telle intrigue, digne des plus beaux peplums, est propice au déploiement d’une très riche veine dramatique tantôt vécue par les personnages et tantôt racontée par eux, que la somptueuse musique de Haendel illustre admirablement, à grand renfort de chœurs.
Les quatre solistes principaux réunis pour cette version de concert ont livré jeudi une prestation de très haut niveau : la mezzo suédoise Ann Hallenberg (Déjanire) éblouit par l’intensité dramatique qu’elle insuffle au rôle, la rigueur de sa technique, infaillible dans les airs à vocalise, et la maîtrise totale dont elle fait preuve tout au long des presque trois heures de la représentation. La voix est chaude, souple, d’une grande richesse de couleurs, pleine d’énergie et l’interprétation musicale, conduite avec intelligence, ménage des effets spectaculaires, culminant dans un impressionnant air de folie, mais aussi des moments d’humour ou de grande tendresse reflétant la complexité du rôle.
Dans le rôle d’Hercules, la basse Edwin Crossley-Mercer est lui aussi très impressionnant. Né à Clermont-Ferrand au sein d’une famille d’origine anglaise, ce musicien complet fait depuis une vingtaine d’années une fort belle carrière, tant à la scène qu’en récital. La voix est tout à fait spectaculaire, avec des profondeurs insondables, une grande réserve de puissance, et il parvient à donner au rôle ce qu’il faut de brutalité pour refléter le caractère un peu obtus du personnage d’Hercules, chef de guerre peu enclin à l’introspection.
Dans une tout autre veine, mais parfaitement bien distribué également, le jeune ténor Guy Elliott tient très dignement le rôle d’Hyllus, le fils d’Hercules secrètement amoureux de la belle captive. Fruit de l’enseignement du Royal College of Music, ce musicien raffiné livre une interprétation empreinte d’une grande dignité conduite avec beaucoup de classe.
Un peu en retrait sur ses camarades, la soprano ukrainienne Iryna Kyshliaruk, formée quant à elle au CNSM de Paris, déploie une fort jolie voix et une technique maîtrisée, mais manque un peu de force dramatique face à la partition.
A la tête de son orchestre Opera Fuoco et du remarquable Chœur de chambre de Namur qui chante ici chez lui, David Stern se montre attentif à tous les détails sans jamais perdre le fil conducteur de la partition ni le sens dramatique du livret ; tout cela est certainement le fruit d’un long travail de préparation qui conduit à une très intime connaissance de l’œuvre et de la musique de Haendel en général, pour le plus grand plaisir du public namurois, qui ne mesure peut-être pas la chance qu’il a de recevoir chez lui des productions d’un tel niveau !