Depuis 1996, année de sa création, le Palais Royal s’attache à renouveler l’expérience du concert classique en privilégiant ces deux mamelles de la transmission que sont pédagogie et proximité. Pour preuve, une saison 2023-24 pensée comme les précédentes à l’intention de tous les publics, dans des lieux aussi divers que des écoles, des églises (Requiem de Fauré du 15 au 22 décembre 2023 à Paris), des salles parisiennes (« Paris – 1850 » à Gaveau le 6 fevrier 2024) ou, ce jeudi 16 novembre, le grand salon de l’Interallié – dernière date d’un spectacle intitulé « Haendel magicien ».
La soirée exclusive dans son concept reste ouverte dans son approche. Pédagogique donc mais non bavarde. Pour dresser en introduction un bref portrait de Haendel, Jean-Philippe Sarcos se laisse guider par sa passion, contagieuse car sincère. Et le chef d’orchestre de rappeler la réponse de Haendel à un des premiers auditeurs du Messie qui le félicitait pour ce « divertissement » : « Milord, je serais désolé si je n’avais fait que les divertir. Mon désir est de les rendre meilleurs ».
« Haendel magicien » ne se prévaut pas d’ambitions aussi élevées mais rappelle en un peu plus d’une heure la variété d’inspiration du compositeur, dans l’élégie la plus éthérée comme dans l’action théâtrale la plus incarnée, avec un sens du rythme et de la mélodie qui vaut à quelques-unes de ses partitions une place au hit-parade de la musique classique. Certaines d’entre elles ont été insérées dans le programme, imaginé par Jean-Philippe Sarcos non comme un pot-pourri mais comme une introspection de la relation amoureuse. Une femme, un homme, elle et lui, s’attirent et se repoussent au gré d’airs et de duos entre lesquels des pages instrumentales aménagent une nécessaire respiration.
Par l’usage d’accessoires, par le travail sur le mouvement et les changements de costume, la mise en espace de Tami Troman évite la laborieuse succession de numéros. Dans un salon privé d’estrade, il est cependant recommandé de se placer aux premiers rang si l’on veut apprécier le jeu scénique des deux chanteurs.
A défaut, subsiste la musique dont l’acoustique, pour le coup favorable, respecte l’équilibre, faisant valoir la précision instrumentale, sans aucune de ces verdeurs baroques qui irritent parfois le tympan, et la solidité des voix suffisamment aguerries pour surmonter l’extrême virtuosité de certaines arias.
Elle, c’est Charlotte Mercier, mezzo-soprano rompue au répertoire léger, connue des familiers de la Compagnie Fortunio, hissée au rang de tragédienne par la musique de Haendel dont elle assume sur une longueur confortable la douleur autant que la fureur, la pudeur blessée de « Penna tiranna » autant que l’agitation hoquetée de « Dopo notte ».
Lui, c’est Anas Seguin, baryton dont certaines notes laissent deviner la basse qui sommeille en lui, voix projetée en quête de relief, véloce à l’égale de sa partenaire, certes cueilli à froid par un « Ombra mai fu » étiré jusqu’au sublime par tant de grands interprètes qu’il lui est impossible d’en renouveler le propos, mais véritable showman dans « Tu sei il cor di questo core » empoigné avec une énergie féroce. Ces deux-là ont de la présence à revendre ; leur confrontation fait des étincelles.
L’amour de Jean-Philippe Sarcos pour la musique de Haendel, déclaré en préambule, s’exprime par la pulsation imprimée à chaque numéro, à la manière dont deux danseurs accordent naturellement leurs pas. Si cette métaphore chorégraphique vient à l’esprit, c’est parce que la direction d’orchestre semble puiser son inspiration dans la dynamique ondoyante des partitions, à l’instar de la marche de Rinaldo, si vivace qu’entraîné par le mouvement, on se surprend à taper en rythme le sol du pied.