Sur la scène de l’Athénée jusqu’au 16 avril puis la saison prochaine à Munich, Avignon, Rouen, Massy*, Ô mon bel inconnu retrouve les dialogues parlés dont l’enregistrement Bru Zane en 2021 l’avait – heureusement – dispensé. La déconvenue est à la hauteur de l’attente que le nom du librettiste – Sacha Guitry – avait suscitée. Autant le texte chanté amuse, autant la pièce dans son intégralité tire en longueur. Alors que sont réunis les meilleurs ingrédients d’une comédie boulevardière, la narration peine à s’installer, se disperse en bavardage, s’attarde sur des personnages dispensables (Jean-Paul, Lallumette) pour finalement accoucher de situations que seule la musique de Reynaldo Hahn parvient à racheter. Dans cette version année folle de The Shop around the corner – le film de Lubitsch –, le dramaturge fléchit devant le parolier. Le théâtre patine mais les jeux de mots fusent. La litanie des départements français à la fin du 2e acte est jubilatoire.
Articulée autour d’un escalier et de portes qui claquent, la mise en scène d’Emeline Bayard s’attache à servir l’ouvrage avec une fidélité qu’un zeste d’impertinence ou un surcroît d’imagination auraient aidé à vitaminer. Les décors et costumes d’Anne-Sophie Grac témoignent de l’attention portée à la qualité du spectacle.
Demeure la partition dont une fois de plus l’élégance saute aux oreilles. Samuel Jean parvient à tirer le meilleur de l’Orchestre des Frivolités parisiennes, réduit à une dizaine d’instrumentistes en raison de l’exiguïté de la fosse. Sourire, grâce et fantaisie, selon la formule du compositeur Paul Le Flem, alternent au gré de l’action sans jamais se départir de la légèreté requise.
Conformément à la loi du genre, les interprètes sont autant comédiens que chanteurs même si l’écriture délicate des airs de Prosper met à dure épreuve la musicalité de Marc Labonnette, même si le « je vous ai pincé le derrière » de Jean-Paul convient mieux à Jean-Francois Novelli que les « qu’est-ce qu’il faut pour être heureux » de M. Victor, même si le finale du 3e acte cueille Carl Ghazarossian à froid – on le serait à moins, son personnage restant muet toute la pièce jusqu’au redoutable « do mi sol si » de son unique intervention.
Mais mère et fille sont délicieuses (Clémentine Tilquin et Sheva Tehoval), Victor Sicard est un jeune premier idéal de présence, sans la fadeur inhérente à ce type de rôle, et Émeline Bayard possède la désinvolture gouailleuse nécessaire aux couplets de la Calcographie, que l’on continue de fredonner longtemps après avoir quitté la salle.
*Munich, 15 octobre 2023 (version de concert) ; Dijon, 1er et 2 décembre 2023 ; Rouen, 16 et 17 décembre 2023 ; Avignon, 29, 30 et 31 décembre 2023 ; Massy, 9 et 10 mars 2024