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HALÉVY, La Juive – Francfort

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Spectacle
24 juillet 2024
Halévy pour la vie

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en cinq actes de Jacques Fromental Halévy
Livret d’Eugène Scribe
Créé le 23 février 1835, à l’Opéra de Paris, Salle Le Peletier

Détails

Mise en scène
Tatjana Gürbaca

Scénographie, lumières et animations
Klaus Grünberg

Réalisation de la scénographie
Anne Kuhn

Costumes
Silke Willrett

Réalisation des costumes
Carl-Christian Andresen

Vidéo
Nadja Krüger

Dramaturgie
Maximilian Enderle

 

Rachel
Ambur Braid
Eléazar
John Osborn
Eudoxie
Monika Buczkowska
Léopold
Gerard Schneider
Brogni
Simon Lim
Ruggiero
Sebastien Geyer
Albert
Danylo Matviienko

 

Frankfurter Opern- und Museumsorchester

Chor und Extra-Chor der Oper Frankfurt

Statisterie und Kinderstatisterie der Oper Frankfurt

Chef des chœurs
Tilman Michael

Directeur musical

Henrik Nánási

 

Francfort, Oper Frankfort, dimanche 14 juillet 2024, 15h30

En ce 14 juillet, alors qu’on célèbre de ce côté du Rhin notre Fête nationale, Francfort est toute entière tournée vers la préparation de la finale de l’Euro. Une large foule converge vers la fanzone située le long du Main, juste derrière l’Opéra. Pendant ce temps, entre les murs de l’Opéra, on s’apprête à clore la saison 2023-2024 et lever pour la dernière fois le rideau en donnant une œuvre française, plus régulièrement donnée en Allemagne qu’en France d’ailleurs, La Juive de Fromental Halévy.

La Juive, c’est une œuvre éblouissante, qui fait musicalement la synthèse des traditions française et italienne, témoignant d’un art de l’écriture musicale et orchestrale beaucoup plus conventionnel que chez Meyerbeer, mais d’un sens de l’efficacité dramatique et du contraste qui inspirera Verdi (voire même Wagner, qui écrivit un article élogieux sur l’œuvre à sa création). Le livret est de Scribe, déroutant, avec des zones d’ombre qui en font toute sa richesse : on ne se situe pas face à des personnages-types comme on en trouve dans de trop nombreux opéras, mais face à des êtres pétris de contradictions, tourmentés, passionnés, dont les rapports se recomposent sans cesse au cours d’un récit qui n’est pas avare en révélations.

Cette partition éloquente est servie avec beaucoup de probité par Henrik Nánási et un Frankfurter Opern- und Museumorchester en belle forme : la filiation rossinienne de l’ouverture apparaît dans la lecture nerveuse qu’en fait le chef hongrois. Il met intelligemment en valeur les effets dramatiques de l’orchestration de Halévy, comme les frissons fiévreux qui parcourent l’orchestre lors du duo entre Éléazar et le cardinal Brogni et maintient une battue vive dans les moments les plus tendus de l’œuvre. Les contrastes entre ces morceaux vifs et les passages plus élégiaques sont cependant un peu exagérés par des tempi trop langoureux, mais il s’agit globalement d’une lecture cohérente et très théâtrale de l’œuvre.

Pour ce qui est de l’état de la partition, on remarque quelques coupures, comme toujours dans cette œuvre. Certaines, notamment au premier acte, peuvent être justifiées pour éviter un déséquilibre entre les actes et faire avancer l’action, mais d’autres le sont moins. Cependant, le boléro d’Eudoxie est bien présent, tout comme le ballet. Le finale de l’acte III est complet, et les duos Eudoxie/Rachel et Éléazar/Brogni sont donnés dans leur (quasi) intégralité, ce qui est encore rare aujourd’hui (ce n’était pas le cas à Turin en septembre dernier, par exemple).

© Monika Rittershaus

Pour cette dernière représentation, un numéro attendu a aussi été coupé : John Osborn a renoncé à la cabalette crucifiante d’Éléazar après la cavatine « Rachel quand du Seigneur », alors qu’il semble l’avoir chantée (au moins un couplet) lors des autres représentations et qu’il la proposait intégralement à Genève lors de sa prise de rôle en septembre 2022. C’est dommage, car au-delà du morceau de bravoure qu’elle constitue, cette cabalette donne du relief au personnage d’Éléazar ; mais si le chanteur ne se sentait pas capable de la réussir ce jour-là, c’est peut-être une bonne chose de l’avoir escamotée.

L’Éléazar de John Osborn apparaît cependant sans faiblesse. Après sa prise de rôle à Genève la saison passée, le portrait du personnage est encore plus affiné et touchant à Francfort. Tout aussi à l’aise dans les passages qui exigent de la vigueur (dans les ensembles) que dans ceux qui demandent un phrasé plus tendre (comme dans la prière de l’acte II ou dans la fameuse cavatine de l’acte IV), il impressionne par la longueur de son souffle, le mordant de sa voix, qui n’est certes pas puissante mais toujours tranchante, et la clarté de son français. Un Éléazar très maîtrisé, auquel on peut préférer les tourments et les failles de celui de Gregory Kunde, mais qui s’impose comme une des plus belles incarnations du rôle.

Tous les autres chanteurs de la distribution faisaient leur prise de rôle et la diction du français est honorable chez toutes et tous. Même si on est en droit d’attendre dans ce répertoire une diction plus incisive pour faire vibrer le texte, c’est suffisamment rare, dans une maison étrangère réunissant des artistes non-francophones, pour être souligné. Ambur Braid, qui a été récemment à l’Opéra de Lyon une Teinturière sidérante, est une Rachel puissante, presque trop. En effet, son format vocal est peut-être un peu large pour le personnage, qu’elle défend cependant avec une énergie débordante, mais elle semble en difficulté dans l’aigu et manque parfois de pudeur et de fragilité. À ses côtés, Monika Buszkowska a elle aussi en Eudoxie un type de voix qui déconcerte nos habitudes d’écoutes : le timbre est très corsé et on l’imaginerait justement plus en Rachel… Mais cela convient tout à fait à la lecture du personnage qu’en fait la metteuse en scène : une femme plus âgée, mère de deux enfants et qui est mariée avec Léopold depuis longtemps. Même si quelques aigus sont chargés d’acidité, la virtuosité vocale du rôle est brillamment assurée.

© Monika Rittershaus

Léopold est incarné par Gerard Schneider, voix claire et nasale qui se distingue dans les ensembles du métal de John Osborn. Le chanteur assume totalement la dimension ingrate de ce rôle d’homme m’as-tu-vu, aussi passionné que lâche. Simon Lim est quant à lui un Cardinal Brogni très émouvant. Le timbre est un peu mat, mais la musicalité de l’artiste est indéniable et l’émotion qu’il déploie dans le duo avec Éléazar au quatrième acte touche le spectateur en plein cœur. Le plus beau moment de la représentation, et qui révèle combien ce quatrième acte, depuis le duo Rachel/Eudoxie jusqu’à la grande scène soliste d’Éléazar, est un sommet de l’art lyrique du XIXe siècle.

Les seconds rôles masculins n’appellent que des louanges : Sebastien Greyer en premier lieu, bien chantant et très charismatique dans le rôle de Ruggiero, Danylo Matviienko ensuite, qui est un Albert stylé, avec une voix claire et franche, et qui dégage en plus un charme scénique indéniable, ce qui lui vaut de recevoir le bouquet d’un admirateur aux saluts !

Difficile cependant d’affirmer que la mise en scène de Tatjana Gürbaca puisse convaincre totalement, mais elle a ses qualités. Son principal défaut, d’abord, est une direction d’acteur qui réduit trop souvent les situations à des anecdotes : haussement d’épaules et yeux levés au ciel ne servent pas à rapprocher les personnages de nous, mais les réduisent paradoxalement à des stéréotypes, en ne les faisant s’exprimer qu’à travers un naturalisme de convention. Le Chœur de l’Opéra de Francfort, pourtant impeccable sur le plan vocal, est lui aussi poussé dans l’exagération et la réaction la plus vive, ce qui peut fonctionner dans certaines scènes où le chœur se montre particulièrement violent, mais se révèle vite inefficace sur la longueur car trop caricatural.

Cette proposition scénique apporte cependant quelques belles idées qui permettent d’avoir un autre point de vue sur certaines scènes. La metteuse en scène porte une attention particulière au rôle d’Eudoxie, qui vient chez Éléazar alors qu’elle sait pertinemment que son mari y est présent. On découvre plus tard qu’elle est mère de deux enfants et que son couple avec Léopold bat de l’aile. Quand Rachel s’offre à son service, elle a parfaitement conscience qu’il s’agit de la maîtresse de son mari et manifeste même un certain mépris à son égard en l’habillant en caleçon de soie et en manteau de fourrure rouge, faisant d’elle une putain pour le reste de l’œuvre. Eudoxie enfile alors les vêtements de Rachel pour s’adonner à un jeu de séduction avec Léopold dans un Boléro à l’érotisme explicite. Tout ce qui suit apparait comme un dérapage du jeu d’Eudoxie, qui est alors contrainte de supplier Rachel pour sauver son mari. C’est son statut de mère et la présence des enfants qui finira de persuader Rachel.

© Monika Rittershaus

Le décor – une sorte de cône en béton brut – ménage des ouvertures dans les grandes scènes d’ensemble et permet un resserrement de l’action dans les scènes plus intimes. L’apparition de l’empereur sous la forme d’un enfant est assez émouvante et permet de le présenter assis sur un cheval de bois pendant la musique du ballet, regardant un film de propagande muet (plutôt réussi) qui met en scène les victoires de Léopold sur le mode burlesque. Tout ceci fait montre d’une succession de bonnes idées, mais qui peinent à former une lecture cohérente, comme en témoignent également les costumes, qui mêlent les lieux et les époques, dans une logique composite qui n’est pas éloigné de l’esthétique du Grand Opéra, mais qui est ici un peu trop générale et englobante pour vraiment toucher.

On peut malgré tout reconnaître la très belle tenue de l’ensemble de la production, et particulièrement de son versant musical, qui sert avec bonheur cette œuvre sublime. Un autre opéra rare français, bien plus rare encore que La Juive, aura d’ailleurs les honneurs de l’Opéra de Francfort l’année prochaine : Guercœur d’Albéric Magnard, présenté cette année à Strasbourg. Décidément, l’Oper Frankfurt est une institution qui chérit les raretés et présente à son public une diversité de titres vraiment impressionnante.

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Détails

Mise en scène
Tatjana Gürbaca

Scénographie, lumières et animations
Klaus Grünberg

Réalisation de la scénographie
Anne Kuhn

Costumes
Silke Willrett

Réalisation des costumes
Carl-Christian Andresen

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