Pour sa dernière retransmission de la saison dans les cinémas, le Metropolitan Opera a choisi de frapper fort en proposant l’opéra de Brett Dean, Hamlet, créé au Festival de Glyndebourne en 2017.
En effet le compositeur australien a écrit une partition puissante qui happe l’auditeur dès les premières mesures, progresse comme un flux dense et irrépressible avec un rythme soutenu et angoissant, scandé par les nombreuses percussions placées dans la fosse mais aussi dans les loges de côté d’où proviennent d’étranges sonorités, perceptibles dans les cinémas équipés d’une bonne sono. Les harmonies d’un accordéon se mêlent par moment aux instruments traditionnels de l’orchestre notamment lors de la représentation donnée par les comédiens. Le second acte plus bref et moins tendu que le premier comporte deux temps forts, la scène de la folie d’Ophélie et le dénouement aussi spectaculaire que violent que l’on reçoit comme un coup de poing en pleine figure. Le livret de Matthew Jocelyn suit pas à pas la trame du drame de Shakespeare mais se concentre sur huit personnages principaux. Pas de scène de comédie dans ce texte, seuls les personnages épisodiques de Guildenstern et Rosencrantz confiés à des contre-ténors piaillants et ridicules, prêtent à sourire. L’intrigue est située dans les années 50, comme en témoignent les robes de soirée des femmes, représentatives de la mode de cette époque, le premier acte se déroule dans l’immense salle de réception d’un manoir princier dont les cloisons amovibles se réorganisent pour créer les autres lieux de l’action. Ce décor astucieux de Ralf Myers permet des changements de tableau à vue. La mise en scène de Neil Armfield, d’une redoutable précision, s’articule autour d’Hamlet, omniprésent sur le plateau, c’est à travers lui que nous percevons les différents événements qui se succèdent.
© Karen Almond / Met Opera
La distribution sans faille est d’un niveau superlatif, certains interprètes avaient déjà participé à la création de l’ouvrage tel Allan Clayton dont l’identification avec le personnage d’Hamlet sur qui repose toute l’intrigue, est proprement hallucinante. Entièrement vêtu de noir, sweat, pantalon et manteau court, quand les autres hommes sont en tenue de soirée, le ténor, dans un perpétuel état d’agitation, se meut avec une aisance confondante sur le plateau. Sa voix, longue et ductile lui permet d’épouser tous les contours de la partie écrasante qui lui est dévolue. Les Parisiens pourront le découvrir dans le rôle de Peter Grimes la saison prochaine à la Bastille. Brenda Rae campe une Ophélie hagarde et touchante, sa scène de la folie au cours de laquelle elle paraît à demi-nue, couverte de fange, tenant des branches de saule à la main est particulièrement saisissante tant sur le plan théâtral que vocal, la partition lui permettant de mettre en valeur ses notes aiguës, aisées et cristallines. Rod Gilfry, le visage blafard, est un Claudius inquiétant et sournois à souhait. Son medium puissant et rond fait merveille dans son monologue du premier acte en dépit d’une légère tension dans l’extrême aigu. Vêtue d’une somptueuse robe de soirée grise aux reflets argentés, Sarah Connolly, très en voix, incarne une Gertrude altière et réservée dont le vernis craque au cours de la scène qui l’oppose à son fils. William Burden excellent Polonius, possède une voix claire et bien projetée. David Butt Philip, troisième ténor de la distribution tire son épingle du jeu en Laërte, personnage tourmenté et vindicatif. Sa belle performance lors du duel final capte l’attention. Jacques Imbrailo, se révèle particulièrement touchant en Horatio, ami fidèle et compatissant d’Hamlet. Enfin John Relyea est parfait dans sa triple incarnation où son timbre de bronze se révèle idéal, spectre inquiétant, comédien jouant le rôle d’un roi et fossoyeur ironique. Mentionnons pour finir les apparitions désopilantes d’Aryeh Nussbaum Cohen et Christopher Lowrey en Rozencrantz et Guildenstern.
Succédant à Vladimir Jurowski qui avait dirigé la création de l’ouvrage, le jeune chef Nicholas Carter qui effectuait ses débuts au Met, prend à bras le corps cette partition bouillonnante et complexe dont il restitue avec brio la texture orchestrale massive et dense jusque dans ses aspects paroxystiques.
Le samedi 22 octobre prochain, la nouvelle saison des retransmissions du Met dans les cinémas du réseau Pathé Live s’ouvrira avec Médée de Luigi Cherubini.