Quinze ans après Alan Curtis et le tout jeune Franco Fagioli, Berenice revient au Théâtre des Champs-Elysées. Ce n’est pas l’œuvre de Haendel la plus réussie : à coté de rôles marquants (Berenice et Demetrio) qui enchainent les airs raffinés et variés, les autres personnages ne brillent qu’épisodiquement et doivent souvent se contenter d’airs de remplissage peu inspirés. Quant au livret, certes non dénué d’humour, il est davantage prétexte à affects qu’efficace théâtralement : les tergiversations de la reine Berenice pour prendre un époux au milieu d’un enchevêtrement de quiproquo politico-amoureux sont assez répétitives.
Pour la défendre, il faut donc à la reine d’Egypte des artistes brillants et fin connaisseurs du style de Haendel, à même d’en révéler les trésors quelquefois enfouis. C’est le cas de l’équipe de ce soir. A commencer par Il Pomo d’Oro et la direction décidemment toujours épatante de Francesco Corti. Avec une finesse rythmique ravissante, il faut entendre leurs ritournelles faire irruption dès que le chanteur a terminé sa phrase, et leur inventivité pour consteller d’effets harmoniques étonnants les passages les moins inspirés.
Le rôle titre fut écrit pour la grande Strada del Po (qui créa aussi Alcina par exemple), et c’est peu dire que Sandrine Piau sait incarner la reine avec prestance et piquant (air inaugural impérieux). Cependant, si la voix a conservé une agilité certaine et rare après une telle carrière (quoique toujours avare de trilles) et qu’elle a étoffé son medium, les aigus sont dorénavant assez mats et il faut toute son éloquence extraordinaire pour compenser une palette de couleurs réduite. Cela ne suffit hélas pas à renouveler l’intérêt à chaque reprise de l’air concertant « Chi t’intende » dont elle peine à rendre le caractère douloureux.
Fabio n’a l’occasion de briller que via son premier formidable air « Vedi l’ape » où les cordes imitent par triolets les tournoiements saccadés d’une abeille avec un grâce infinie. Matthew Newlin s’en sort superbement via notamment de très belles variations sur une belle étendue, avec un léger grain dans le grave qui rappelle Kobie van Rensburg.
Alessandro, rôle assez transparent car trop tempéré, est littéralement transcendé par la performance d’Arianna Vendittelli : son « Che sara quando amante » prodigieux lui permet de faire fi d’une tessiture limitée, par une intelligence technique surprenante et audacieuse (canto di sbalzo). Son deuxième air est d’une sensibilité à fleur de peau très émouvante, et le public ne retient pas son enthousiasme après le dernier.
Ann Hallenberg ne fait qu’une bouchée de la très secondaire Selene. Son « Gelo, avampo » est à la fois très intense et équilibré. Elle est suprême dans les récitatifs qu’elle anime comme personne (ces intonations, ces œillades !) tandis que son « Si poco e forte » est une merveille de second degré.
John Chest jouit de très beaux moyens mais souffre d’un vocabulaire belcantiste encore trop limité, et d’une prudence excessive à l’exception de quelques aigus bien préparés.
Rémy Brès-Feuillet propose un Arsace mémorable à l’encontre de la partition grâce à un timbre de contre-ténor alto très personnel et des vocalises liquides qui ne manquent que de longueur de souffle.
Paul-Antoine Bénos-Djian préfère une fois encore faire résonner sa puissante voix et son émission très moelleuse, plutôt que chercher la difficulté technique (cadences souvent plus narcissiques que risquées). Il n’y a guère que dans son invocation des enfers qu’il sort de sa torpeur pour affronter avec vaillance une écriture à la fois syllabique et torturée de croches, ne loupant que quelques notes graves. Il le fait très bien mais en signalant ses limites dans une reprise très peu variée.