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HAYDN, Die Schöpfung – Montpellier

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Spectacle
19 novembre 2024
Une Création double à Montpellier

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Joseph Haydn

Die Schöpfung

Oratorio en trois parties, Hob. XXI :2

Livret de Gottfried van Swieten, d’après le Paradis perdu, de Milton

créé le 29 avril 1798 à Vienne, Palais Schwarzenberg

Détails

Gabriel
Emy Gazeilles

Uriel
Maciej Kwasnikowski

Raphael, puis Adam
Alexandre Baldo

 

Chœur Opéra national Montpellier Occitanie

Cheffe de chœur
Noëlle Gény

 

Orchestre national Montpellier Occitanie

Direction musicale
Marco Crispo

 

Montpellier, Opéra, Opéra Comédie, 16 novembre 2024, 16 h

Dès son premier séjour londonien, Haydn rencontra William Herschel, au moment où il découvrait les grands oratorios de Haendel, et certains avancent que l’idée de la Création aurait été communiquée par l’astronome au compositeur à la recherche d’un sujet. « Oratorio biblique et maçonnique », « …certainement l’œuvre de Haydn qui porte le plus fortement la marque de la Franc-maçonnerie », rappelait Jacques Chailley, auquel nous renvoyons les curieux (1). La plus pertinente définition du déisme des Lumières, opposé au dogmatisme, était donnée par Voltaire à l’article « Religion » de son dictionnaire philosophique.  La Création nous invite à regarder plus haut, à nous approprier l’harmonie du monde, la lumière sans l’aveuglement, une forme de béatitude humble, souriante. Après l’incroyable version scénique que programmait l’Opéra national de Lorraine en février dernier (Le Livre et l’Encyclopédie  https://forumopera.com/spectacle/haydn-die-schopfung-nancy/) , Montpellier nous offre à son tour une Création (2), une singulière première.

Apparue depuis peu sur nos grandes scènes, l’Avignonnaise Emy Gazeilles a fait une entrée remarquée dans la carrière. Gabriel, puis Eve, ses trois airs interviennent dans la première moitié de l’ouvrage, elle sera de tous les ensembles qui suivront. La conduite de la ligne, le soutien, l’aisance dans tout le registre ne souffrent pas de sa grossesse avancée. Le timbre, citronné, gagnera en rondeur au fil des interventions pour s’épanouir pleinement. Elle se joue des difficultés, les aigus sont aisés. « Nun beut die Flur » (n°8), la pastorale avec les clarinettes, bassons solistes, est ravissante, et les traits (« erhöt », « den Wunden Heil ») irréprochables. Il en ira de même avec « das zarte Taubenpaar » puis « ihr reizenden Gesang », redoutables, de son aria suivante (« Auf starken Fittige », n°15). Maciej Kwasnikowski, le ténor polonais à la voix vaillante et stylée, chante Uriel (3). Son souci constant du texte – toujours intelligible – et de la ligne de chant, associés à des moyens exemplaires, nous vaut un bonheur constant. Le timbre, la projection sont au rendez-vous, au service d’une expression naturelle, telle qu’on l’aime. L’essentiel des récitatifs, accompagnés par le seul clavecin (4) ou par l’orchestre, lui sont confiés ainsi qu’à la basse. Leur vie mérite d’être soulignée. Raphael, puis Adam, sont confiés à Alexandre Baldo, baryton-basse que l’on retrouvera en Abimelech (Samson et Dalila) à Saint-Etienne. L’allemand, (aux « r » roulés), exotique, surprend et s’oublie. Les graves sont solides, ronds, la voix est ample, sonore. Impétueux, inégal dans son premier air, il rayonnera dans son second (« Nun scheint im vollem Glanze », n°22). Les ensembles (les cinq trios vocaux comme les deux duos, avec ou sans le chœur) n’appellent que des éloges. Le final nécessitant quatre solistes, la mezzo Dominika Gajdzis s’intègrera à l’ensemble pour donner la réplique au chœur.

Souvent sollicité, seul ou avec les solistes, ce dernier, préparé par Noëlle Gény, se montre irréprochable, aussi engagé que concentré, précis, équilibré. Le « Stimmt an die Saiten » (n°10), très haendelien, avec sa fugue, est exemplaire. On pourrait tout citer, notamment les grands ensembles qui couronnent chacune des trois parties.

Le changement de titulaire, annoncé quelques jours auparavant, augurait mal de cette Création montpelliéraine, quelles que soient les qualités des solistes retenus. On ignorait alors que le chef, spécialiste du grand répertoire lyrique italien, était familier de l’ouvrage, pour l’avoir dirigé à maintes reprises. Marco Crispo gagne à être connu. L’espace de quelques jours lui a permis de tisser des liens étroits avec tous ses musiciens et chanteurs, et cette complicité est perceptible. Le geste est ample, clair, efficace, l’expression souriante comme grave, complice. Le dynamisme qu’il insuffle, son attention constante à chacun, l’énergie, la vigueur comme la tendresse sont manifestes. C’est un Haydn juste, affable, dont la jubilation intérieure, sincère, humaine, sans emphase, indemne de frivolité ou de complaisance, trouve la grandeur et l’humilité : la pleine dimension d’une sacralité débarrassée de ses atours sacerdotaux, naturelle. Rien de mystique ni de victorieux, l’admiration la plus sincère pour le miracle du grand œuvre que constitue la Création.

Instrumentiste ou chanteur, la concentration et l’engagement d’une première, l’enthousiasme de chacun sont la marque de ce moment de partage. L’orchestre se montre sous son jour le meilleur, homogène, équilibré, réactif. Les phrasés sont dessinés avec intelligence et goût. L’unique réserve tient à la perception de la petite harmonie, essentielle à l’illustration du livret : placée derrière les cordes, comme à l’accoutumée, l’émission paraît en retrait, et ajoute à la perte de la verdeur des timbres des instruments d’époque. Cependant, on oublie vite les couleurs orchestrales que nous prodiguent ces derniers dans les interprétations « historiquement informées », tant la chaleur radieuse que dégage cette lecture inspirée nous captive. Aucun entracte ni la moindre césure entre les trois parties, la tension dramatique y gagne. Au terme de l’ouvrage, la joie profonde, partagée, sorte de communion rare, est perceptible.

Les chaleureuses ovations du public, longtemps retenues, lui valent la reprise du chœur conclusif, fait inhabituel et particulièrement bienvenu : chacun des interprètes, libéré de la tension de cette création, y donne le meilleur de lui-même, ajoutant encore à l’exécution précédente. Le bonheur.

(1) Dans deux articles (L’Education musicale, n° 246-248, 1978) à l’occasion de l’inscription de La Création au CAPES et à l’agrégation, il décrit l’histoire détaillée de sa gestation, depuis la commande de Salomon jusqu’à la mise en musique du texte traduit en allemand par Van Swieten, qui avait déjà collaboré avec le compositeur (la version vocale des Sept paroles du Christ). Auparavant une analyse de la partition lui permettait de justifier son interprétation. Précédé du « Vollendet ist das grosse Werk » confié au chœur, « Herr, blickt Alles auf », avec sa colonne d’harmonie (bois et cors), confirmerait si besoin l’influence maçonnique du livret comme de la musique. Voltaire, disparu vingt ans auparavant, écrivait à l’article « Religion » de son Dictionnaire philosophique une page prémonitoire, la section seconde étant l’introduction la plus pertinente à l’ouvrage de Haydn (page 1502, de l’édition de la Fondation Voltaire, Laffont, coll. Bouquins, 2019).
(2) Pour incroyable que cela puisse paraître, malgré l’activité musicale intense de Montpellier, y compris celle du Festival Radio-France, il aura fallu attendre 226 ans pour que l’oratorio de Haydn y soit donné. L’Opéra comédie a fait le plein à cette occasion, et l’on regrette que tant de travail et de talents n’aient pu se traduire que lors de cet unique concert. Signalons aussi l’excellente notice d’introduction du programme de salle, fait rare, signée Benjamin François.
(3) Uriel, à la différence de Gabriel et Raphaël, ne figure pas parmi les archanges bibliques, emprunté aux religions orientales, il apparaît dans les apocryphes.
(4) Le clavecin paraît vraiment grêle, les basses quasi inaudibles, pour assurer l’accompagnement des récitatifs secco. Peut-être un piano-forte (comme pour les Saisons) aurait-il mieux convenu, même si « cembalo » est explicitement mentionné dans la partition.

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