Hélène doit être unie à Ménélas, ainsi en ont décidé les déesses; mais Thésée a résolu d’abandonner la fière Hippolythe et aidé de son compagnon Pirithoüs, d’enlever Hélène. Ménélas prend l’habit d’une jeune esclave et parvient à s’introduire auprès d’Hélène. Ainsi travesti, Ménélas fait tout aussitôt l’objet des assiduités de Pirithoüs, tandis que Ménesthée, fils de Créon poursuit Hélène. L’affaire se complique encore lorsqu’arrivent Hippolythe et sa suivante Euryte, venues en découdre avec Thésée. Après bien des péripéties et l’intervention de multiples autres personnages, dont deux ours et les Dioscures, les couples retrouveront le bonheur, Hélène avec Ménélas et Thésée avec Hippolythe. On le voit, l’excellent livret de Nicolò Minato, véritable vaudeville mythologique, ne manque ni d’action ni de rebondissement !
La musique de Cavalli (que le public a pu découvrir il y a vingt ans avec La Calisto montée à la Monnaie par René Jacobs et Herbert Wernicke) proche de celle de son maître Monteverdi auquel elle n’a rien à envier, est une merveille de simplicité, de sensualité et d’efficacité dramatique. Ainsi, le manuscrit qui vient d’être exhumé par Leonardo Garcia Alarcón regorge d’airs remarquables, mais aussi de duos, trios ou quatuors vocaux très élaborés, et compose un ensemble extrêmement séduisant, dont on ne comprend absolument pas comment il a pu rester 350 ans sans être joué. Si la distribution vocale est pléthorique (13 chanteurs se répartissent 23 rôles), les parties instrumentales sont relativement réduites, et assumées par 10 musiciens seulement.
C’est dans le cadre confiné du Théâtre du Jeu de Paume, petite salle à l’italienne aux proportions idéales, qu’ont lieu les huit représentations qui marquent la renaissance de cette Elena.
Le dispositif scénique relativement simple, en forme d’amphithéâtre, et les costumes inspirés de l’antiquité soutiennent une mise en scène essentiellement attachée à situer les personnages, clarifier l’action et souligner l’émotion musicale, en particulier dans les ensembles ou les longs (et sublimes) lamentos qui constituent les points culminants de la partition. Le spectateur est captivé dès le prologue, adhère sans réserve aux multiples sollicitations du livret, toutes inscrites dans la tradition théâtrale italienne, et s’amuse comme un enfant des travestissements, des quiproquos et des situations cocasses qu’ils occasionnent. Souvent, le rire cède la place à l’émotion et l’expression des sentiments humains les plus forts ou les plus beaux, l’amour, la colère, la jalousie ou l’abandon, sont autant d’occasions d’une musique sublime.
La distribution fait la part belle aux jeunes chanteurs, quelques uns issus des Académies européennes de musique, le projet pédagogique que le Festival d’Aix poursuit depuis de nombreuses années avec succès. Formant une troupe internationale particulièrement homogène et complice, ils brillent tant par leur qualités vocales que par leur incomparable sens de la scène et leur très communicative joie de vivre. Sous une perruque outrageusement blonde, la jeune hongroise Emöke Baráth prête sa magnifique voix de soprano et son physique de reine à une Hélène plus vraie que nature. Du jeune roumain Valer Barna-Sabadus, on retiendra surtout l’ambiguïté androgyne, idéale pour le rôle de Ménélas qui semble écrit pour lui, et la remarquable souplesse vocale, rare pour une voix de contre-ténor sopraniste. Evitant le ridicule des personnages travestis, il suscite une réelle émotion – le rôle est magnifiquement composé – et recueillera d’ailleurs toutes les faveurs du public. Fernando Guimarães, puissante voix de ténor, interprète Thésée, le mauvais de l’histoire; à ses côtés, le contre-ténor Rodrigo Ferreira, autre très belle voix, campe un Pirithoüs tantôt lubrique, tantôt attendrissant, toujours très expressif. Mais c’est à la mezzo suisse Solenn’ Lavanant Linke (Hippolythe) que revient la palme de l’émotion.Très gâtée par la partition, qui lui permet d’exprimer un large éventail des passions humaines, elle domine son rôle avec beaucoup de maîtrise et d’assurance. Parmi le reste de la troupe, citons encore le ténor Emiliano Gonzales Toro, truculent dans le rôle d’un bouffon opportuniste, ou la basse américaine Scott Conner, Neptune très impressionnant.
Il reste que la vraie vedette de tout le spectacle est dans la fosse : c’est le chef ! C’est non seulement à lui que revient l’initiative de toute cette entreprise de renaissance d’une partition, le travail considérable qui consiste, au départ d’un manuscrit du XVIIe siècle, à reconstituer une partition complète et lisible pour des chanteurs du XXIe, mais aussi à insuffler à toute la troupe, instrumentistes et chanteurs réunis, l’énergie, la passion, l’audace et la confiance qu’il faut aux jeunes artistes pour se lancer dans l’aventure et aller au bout d’eux-même. Le résultat est magnifique, à la mesure des efforts fournis. Merci monsieur et chapeau bas !