« Astres étincelants que l’infini promène… ». S’il faut, dit-on, sept étoiles pour réussir Les Huguenots, Hérodiade n’en exige que cinq. Pour ce grand opéra conçu un demi-siècle après les chefs-d’œuvre du genre, où alternent scènes de foule dans le plus pur style péplum et moments intimes, où l’orientalisme à la mode vient s’entrelacer à la tradition française, il faut cinq grands chanteurs, et peut-être est-ce la raison pour laquelle ce titre s’est fait si rare depuis quelque temps : en dehors de Saint-Etienne, tenu d’honorer Massenet, où en France a-t-on pu voir ou même entendre récemment Hérodiade ? L’idée était donc ô combien judicieuse, pour cette coproduction entre Marseille et la ville natale du compositeur, et l’on se réjouissait de voir revenir une œuvre vraisemblablement disparue des affiches hexagonales depuis les dernières représentations stéphanoises en 2001.
Hélas, il avait déjà fallu déchanter dans la cité phocéenne, au printemps, car la production signée Jean-Louis Pichon n’avait guère emballé notre collègue Maurice Salles. Difficile de s’enthousiasmer, en effet, pour un spectacle certes élégant, mais dont le beige imposé à tous les costumes produit une uniformité assez fâcheuse, même si les Romains bénéficient de charmants casques à pointes (ou plutôt à obélisques, vu la taille et la forme desdites pointes). Le chœur forme une masse indifférenciée, dans sa tenue vestimentaire comme dans son attitude, et rien ne distingue Juifs, Romains, courtisans, marchands ou esclaves. C’est d’autant plus dommage que le Chœur lyrique Saint-Etienne Loire brille par sa musicalité et par sa diction exemplaires. Surtout, la mise en scène semble surtout consister à régler les déplacements de tout ce beau monde : entrées symétriques et simultanées du chœur par la gauche et par la droite, tandis que les solistes décrivent un arc de cercle pour venir se placer tantôt à gauche, tantôt au centre, tantôt à droite de l’avant-scène, se croisant parfois en un mouvement aussi gracieux que vide de sens. Du théâtre ? Pas vraiment, plutôt un défilé pompeux où chacun se débrouille tant bien que mal pour faire vivre son personnage. Les chorégraphies sont bien plus animées : même si le ballet du dernier acte a été coupé, les autres danses voulues par le livret sont respectées, notamment la « danse sacrée » dans le temple, qui évoque un peu les hystériques de Charcot.
E. Pascu, C. Helmer, E. Hache, F. Laconi © Cyrille Cauvet – Opéra de Saint-Etienne
Et le secours ne vient pas non plus de la fosse, où la direction de Jean-Yves Ossonce paraît bien souvent par trop analytique, trop raisonnée alors que l’on voudrait plus de fougue, plus de passion. Les tempos paraissent trop étirés, et les plus beaux airs de la partition en font les frais : quand les points d’orgue semblent se multiplier, la ligne mélodique devient comme hachée, et les chanteurs peinent à tenir un discours qui parlent au public. Il n’en va heureusement pas toujours ainsi, d’autant que sur les cinq grands rôles évoqués plus haut, Saint-Etienne a réussi à réunir quelques étoiles.
Seul rescapé de la distribution marseillaise (avec un Jean-Marie Delpas qui hésite curieusement entre parlé et chanté pour le bref rôle de Vitellius), retrouvant Jean six mois après, Florian Laconi confirme qu’il a désormais les moyens de ce rôle où l’on voit mal quel autre ténor français pourrait lui disputer la place. Couronnant son dernier air d’un aigu éclatant, il impose dans son incarnation cette sérénité que tous, dans le livret, reconnaissent au prophète. A ses côtés, Elodie Hache s’impose sans difficulté en Salomé, avec des réserves de souffle apparemment inépuisables et une puissance impressionnante ; on espère que ces moyens généreux seront bien canalisés pour la Fiordiligi qu’elle sera, toujours à Saint-Etienne, en février prochain, mais le souvenir de son Elvire à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris ne suscite pas trop d’inquiétude. De la voix, Emanuela Pascu ‘en manque pas non plus, mais on aimerait un grave plus sonore pour ce rôle où s’illustrèrent une Denise Scharley ou une Rita Gorr, et le français, sans être mauvais, pourrait être plus net. Christian Helmer a-t-il raison d’aborder Hérode ? Le rôle semble pousser le baryton jusque dans ses derniers retranchements, surtout dans l’aigu, et le personnage aux gestes hésitants, sur la pointe des pieds, est ici plus velléitaire que jamais. Nicolas Cavallier, enfin, est un Phanuel crédible malgré son costume de Dumbledore et quelques intonations nasales de méchant dont il pourrait se dispenser. Preuve est faite malgré tout que, quand on veut donner Hérodiade, on peut.