Cette année encore le festival Rossini de Bad Wildbad a proposé un concert sortant des sentiers battus. Après l’hommage rendu à Rubini par Maxim Mironov, c’est Antonio Tamburini qui est évoqué par le baryton-basse Vittorio Prato. Si la gloire posthume de Tamburini est moins éclatante il n’en fut pas moins le partenaire du légendaire ténor et leurs noms sont indissolublement liés par la création de I Puritani, où Tamburini interprétait le rôle de Riccardo, le rival frustré de l’élu du cœur d’Elvira. Né en 1800, il monta sur les scènes à l’avènement de l’opéra romantique mais il resta fidèle à sa formation belcantiste et ne s’aventura jamais dans un rôle verdien. Conçu comme à l’accoutumée par le musicologue Reto Müller, le programme du concert n’en est pas moins cosigné par Vittorio Prato, qui en a organisé l’ordre et par Michele d’Elia, qui a aidé le chanteur pour des recherches sur le répertoire bellinien à Catane.
Entre 1820 – Tamburini débuta très jeune – et 1843, c’est donc un panorama de rôles dont il fut le créateur que le concert nous invite à parcourir, et pour la majorité, à découvrir, extraits d’opéras souvent disparus du répertoire, tel Chiara de Rosembergh, opéra héroï-comique de Pietro Generali, avec le récitatif et l’air de Montalban, un méchant en proie au doute, avant la cavatine de Rustano dans Gianni di Calais de Donizetti (1828), une barcarolle enjouée. Si le cantabile de Malatesta « Bella siccome un angelo » de Don Pasquale (1843) fait partie des « tubes » on ne peut en dire autant de l’air de Blondello, chapelain et faux aveugle dans Riccardo l’intrepido (1824) de Giuseppe Balducci. La première partie se termine par l’extrait de I puritani où Riccardo, rôle créé, redisons-le, par Tamburini, exhale sa frustration amoureuse devant son second Bruno : « Ah, per sempre io ti perdei ». La suite du concert nous emmène en terres inconnues, ou presque. C’est l’aria d’Edoardo dans Edoardo in Scozia (1831) de Carlo Coccia, puis l’air de Gradenigo dans la scène d’orgie de Il bravo de Marco Aurelio Marliani (1834), l’air de Corrado dans I briganti de Mercadante (1836), que Vittorio Prato avait déjà chanté in loco et dont un enregistrement garde la trace, morceau de bravoure qui exprime des affects contrastés, enfin l’air de Ford puisé dans le Falstaff de Michael William Balfe (1838) où le mari jaloux passe de la colère à l’indécision et puis à la menace dans un remue-ménage à l’ironie savoureuse.
Autant d’extraits destinés, dans leur variété, à mettre en valeur et l’organe et la manière d’en user. Nous ne détaillerons pas air par air les mérites du chanteur : la chaleur étouffante qui manifestement le gênait a peut-être altéré la justesse d’un aigu final et une baisse de régime de quelques secondes dans une scène, mais ses faiblesses humaines ne sont rien au regard de la réussite globale de cette performance. Non seulement Vittorio Prato sait « recitar cantando » pour reprendre l’expression ancienne mais il démontre maintes fois sa maîtrise des agilités, la fermeté des accents, la tenue de la ligne, la longueur de la voix et le contrôle du souffle. On ne perd pas une syllabe grâce à la clarté exemplaire de l’articulation, et la netteté et le délié des vocalises le trouvent parfaitement à sa place dans ce répertoire. Si l’on pouvait se permettre d’exprimer un regret, ou plutôt une hypothèse, l’impact de son chant augmenterait probablement s’il accentuait les effets possibles, ou latents. Mais il semble que ce choix lui soit étranger : même dans les passages les plus enjoués, ou les plus propices aux clins d’œil, quand il serait si facile de demander au public sa connivence, son interprétation conserve une hauteur rétive aux complaisances qui lui vaut notre admiration. Ce parti-pris altier d’austérité – relative – nous semble au diapason de l’élégance qui prévalait alors pour chanter l’opéra.
Pour l’extrait de Gianni di Calais comme pour Riccardo l’intrepido, Edoardo di Scozia, Il bravo, I briganti et Falstaff, le chœur Camerata Bach donnait la réplique à Vittorio Prato, avec une musicalité victorieuse de la fatigue d’un emploi du temps extrêmement dense. Des élèves de l’Académie de Bel canto se révélaient des partenaires eux aussi très présents et pleins d’abnégation. Qualité dont José Miguel Perez Sierra et les musiciens de l’orchestre Virtuosi Brunensis, le retard de certaines partitions étant tel que le concert aurait partout ailleurs constitué une répétition générale. On ne peut donc que s’incliner devant le tour de force des exécutants et la maîtrise dont le chef a fait preuve pour éviter les catastrophes possibles, confirmant ses dons pour contrôler le volume afin de servir au mieux les chanteurs sans pour autant priver la musique de pulpe. Il dirigeait par ailleurs quatre ouvertures, intercalées dans le programme, celle de Don Pasquale, celle d’Adelson e Salvini (Bellini), celle de L’ajo nell’imbarazzo (Donizetti) et celle du Falstaff de Balfe. Au-delà de la satisfaction de le voir trouver chaque fois la dynamique qu’on ne discute pas, c’était un plaisir d’écouter ces compositions si représentatives des goûts et des modes d’une époque que d’autres, plus fortes, plus originales, ont supplanté, mais dont elles constituaient le terreau et l’atmosphère. On espère maintenant que rien ne viendra s’opposer à la publication d’un enregistrement, car les amoureux de ce répertoire sont friands de ces raretés et tant d’enregistrements effectués dans les mêmes conditions attendent d’être publiés qu’on se prend à douter des explications successives avancées. On peut comprendre l’insatisfaction des artistes qui estiment leur voix déformée par la prise de son. Ils s’exposent malheureusement ainsi à ce que des gens sans scrupules publient des pirates qui échapperont totalement à leur contrôle. Charybde ou Scylla ? Que Melpomène leur inspire le bon choix !