Composés entre 1890 et 1896, l’Italienisches Liederbuch est un recueil de quarante-six mélodies de courte durée, une à deux minutes tout au plus, sur des textes anonymes tirés de chants populaires vénitiens ou toscans, traduits de l’italien par Paul Heyse. La plupart comportent six à dix vers et toutes sont centrées sur une des multiples facettes du sentiment amoureux, un thème idéal pour un soir de Saint-Valentin.
Egalement répartis entre une voix de femme et une voix d’homme, ces Lieder montrent des caractères différenciés : la jeune femme est facétieuse (« Schweig einmal still »), exigeante, capricieuse parfois (« Wer rief dich denn »). Dans son dernier morceau ( « Ich Hab in Penna ») elle fait la liste de ses conquêtes telle un Don Juan au féminin. En revanche, son amoureux est dépeint comme un tendre, un homme romantique (« Wen du mich den Augen streifst »), passionné jusqu’à l’exaltation (« Heb auf dein blondes Haupt ») mais également rusé (« Geselle, woll’n wir uns in Kutten hüllen »).
Rarement donné en concert, notamment en France, ce cycle proposé à la Philharmonie de Paris dans le cadre des Grandes Voix est défendu par deux chanteurs qui se hissent sans peine au niveau des plus grands artistes dont le disque a préservé l’interprétation, Dietrich Fischer Dieskau et Elisabeth Schwartzkopf, notamment. Pour la circonstance, l’ordre des Lieder a été modifié afin de donner au recueil la forme d’un dialogue en quatre parties, voire d’un mini opéra à deux voix au cours duquel les protagonistes se livrent à des jeux de scène parfois cocasses mais toujours en situation. Par exemple à « Gesegnet sei, durch den di Welt entstand » répond « Gesegnet sei das Grün » qui invite la soprano à jouer avec son étole verte tandis que le ténor orne sa veste d’une pochette de la même couleur.
Vêtue d’une élégante robe noire à fleurs rouges, Diana Damrau a paru dans une forme éblouissante. La voix bien projetée, le medium chatoyant, l’aigu radieux, la ligne de chant nuancée qui épouse les divers affects de son personnage et son impeccable diction contribuent à faire de son interprétation un bonheur de chaque instant. Sur le plan scénique la soprano allemande n’est pas en reste et passe avec un égal bonheur de la jeune fille inquiète pour son amoureux (« Ihr, jungen Leute ») à la coquette aux œillades assassines, tour à tour boudeuse ou provocante (« Du denkst mich einem Fädchen »), réservée ou ironique, qu’elle se trémousse ou se drape dans l’une de ses étoles de différentes couleurs, elle est un spectacle à elle toute seule.
Son partenaire n’est pas en reste. Dès son premier Lied on entend une voix pleine, ronde et saine, débarrassée de toute trace de fatigue. Les problèmes de santé du ténor bavarois semblent appartenir désormais au passé et c’est avec un immense soulagement que les fans ont retrouvé le Jonas Kaufmann d’autrefois avec ce timbre sombre au charme envoûtant capable de sons filés en voix mixte sur le souffle ou d’accents autoritaires quand le texte l’exige, un texte qu’il cisèle avec un raffinement inouï et ce talent de diseur qu’on lui connaît. Scéniquement, le ténor campe avec un égal bonheur, le jeune homme timide et un peu gauche, l’amoureux blessé ou l’amant exalté.
Au piano, l’excellent Helmut Deutsch propose un accompagnement subtil, d’un raffinement extrême, en parfaite osmose avec les chanteurs. La soirée se conclut en beauté avec un magnifique Unter’m Fenster de Schumann.