Le chœur du prologue de Roméo et Juliette de Shakespeare désigne les deux jeunes amants comme nés « sous des étoiles contraires ». Si la source élisabéthaine du livret de l’opéra de Bellini est bien ténue, les représentations d’I Capuleti e i Montecchi de l’opéra de Bologne l’en rapproche. Pour de mauvaises raisons. En effet, les jeunes chanteurs de la deuxième distribution – nous viendrons sur leurs lacunes ensuite – doivent composer avec deux handicaps : une direction d’orchestre qui les ignore peu ou prou et une mise en scène transposée qui ne les aide pas à faire vivre les affres de Juliette et Roméo.
Si l’on ne devait considérer que l’aspect théâtre musical de la direction de Federico Santi, l’on devrait être plutôt séduit. Voici un orchestre charpenté, incisif ou moelleux quand il le faut, et composé de solistes de qualité, sans doute le reflet du travail de fond réalisé par Michele Mariotti, directeur musical du Teatro Comunale. Frederico Santi demande de nombreuses ruptures de rythme, accélère dans les scènes les plus tendues : en un mot il épouse le drame. Problème, il est bien le seul et omet trop souvent par un signe ou ne serait-ce qu’une battue rigoureuse de donner les départs et à ses pupitres et surtout à ses chanteurs. Il s’ensuit des décalages trop nombreux pour invoquer l’indulgence de la première représentation avec cette distribution.
En guise de ville sur les méandres de l’Adige, voici nos amants tragiques condamnés aux billards et chaises en formica du “Café Verona”. Silvia Paoli, qui a fait ses classes chez Damiano Michieleto, donne cette étrange impression du papillon qui sort de sa chrysalide. Avec ses mouvements encore maladroits tels ces revolvers que les deux familles nobles dégainent comme s’ils étaients de mauvais gangsters de cinéma, ou cette fausse bonne idée du fantôme du frère de Juliette, tué par Roméo et qui revient visiter chaque scène sans que l’on comprenne bien pourquoi. Transposer l’action et la circonvenir à un lieu unique resserre le drame et enferme Juliette tout à fait dans ce monde patriarcal, où même Roméo fait peu de cas de ce qu’elle peut vouloir. Mais encore faut-il tenir sur la distance et surtout travailler à chaque instant les relations entre les personnages. Ici, la direction a été à bonne école, mais ne s’aventure pas en dehors du linéaire du livret et n’apporte aucun éclairage nouveau sur cet énième exemple d’opéra comme la « défaite d’une femme ».
© Rocco Casaluci
C’est sous ces deux étoiles contraires que les chanteurs s’efforcent de suivre les exigences de Bellini. Christina Campsall (Roméo) tire le mieux son épingle du jeu. La voix, puissante et particulièrement aisée dans le registre aigu, se pare de moirures de contralto dans le grave. Cela laisse envisager de bien beaux emplois à l’avenir pour cette mezzo canadienne, à la condition de bien souder ce dernier registre aux autres. Nina Solodovnikova ne dispose pas des mêmes ressources, l’aigu limité ampute ses variations et plafonne systématiquement tout en étant émis forte. Cela ne concourt guère au portrait subtil de la jeune fille. Dommage car le timbre à l’arabica à la fois doux et corsé ne manque pas de séduction. Vincenzo Santoro (Capellio) déploie lui un métal d’airain qui sied bien au patriarche Capulet. Las, dans ce décors ouvert sur les cintres, projection et volume lui font trop défaut pour asseoir tout à fait son personnage. Gillen Mungia, accuse dans une moindre mesure le même défaut. Moindre car le premier air de Tebaldo appelle des éloges – la ligne en est claire et fluide, la voix saine et lumineuse – avant qu’il ne s’efface dans la masse du choeur, qui délivre un prestation moyenne. Enfin on regrettera que Diego Savini doivent se contenter des quelques répliques de Lorenzo. Le baryton fait montre d’un vrai charisme scénique que seconde tout à fait un voix puissante et sombre.