Ce soir Eurydice est revenue des Enfers pour sauver la représentation d’I Capuleti e i Montecchi à l’Opéra Bastille. En effet, Ekaterina Siurina, qui devait initialement tenir le rôle de Giulietta, s’est fait porter pâle pour cette première. Pour la remplacer, l’Opéra de Paris n’est pas allé chercher bien loin : c’est Yun Jung Choi, Eurydice de l’Orphée et Eurydice version Pina Bausch au Palais Garnier dans quelques jours, qui a repris le flambeau. Ancienne de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, cette dernière n’est pas une inconnue à Paris, elle chantait le mois dernier Donna Anna dans le Don Giovanni monté par l’Atelier Lyrique et fut la Cléopâtre du Giulio Cesare de Haendel à Garnier l’an passé.
La performance de la soprano coréenne ne semble pas souffrir de la prise de rôle tardive : elle charme dès le célèbre « Oh ! quante volte » par un timbre lumineux et suffisamment charnu et des aigus d’une grande pureté. Si sa Giulietta a une personnalité encore un peu effacée, elle ne manque certainement pas de charme ! La voix de Karine Deshayes (Romeo) se marie d’ailleurs superbement à celle de sa partenaire d’un soir, par la délicatesse et la précision des variations à l’unisson et leurs timbres presque jumeaux. De même, son chant ne manque pas d’intensité, notamment dans les deuxième et troisième scènes de l’acte 2, mettant en valeur son mezzo clair bien projeté. Elle ose même certaines variations inédites dans l’aigu. D’où vient alors cette légère insatisfaction face à cette interprétation de haut niveau ? Peut être d’un relatif manque de relief (notamment dans la cabalette « La tremenda ultrice spada ») : les graves souffrant d’un déficit de projection et le timbre peu corsé privent ce rôle travesti de ses aspects les plus belliqueux.
Chez ces messieurs, Charles Castronovo (Tebaldo) étonne par une voix sombrée, limite laryngée. Si le style du ténor américain ne dépare pas pour autant (malgré des variations des reprises bien timides), on pourrait souhaiter plus de mordant et de brillance dans ce rôle. Les deux basses, Paul Gay (Capellio) et Nahuel di Pierro (Lorenzo) sont sonores et bien-chantantes, le premier faisant preuve d’une plus grande autorité vocale.
La direction de Bruno Campanella surprend par sa retenue dans l’ouverture. Contrairement à celle d’Evelino Pido qui brusquait la musique lors de la précédente reprise, le maestro italien laisse respirer l’orchestre, délivrant de magnifiques soli instrumentaux (les bois et les violoncelles entre autres). Si l’on rêverait parfois de pulsation plus fébrile, notamment dans la strette finale de l’acte un, le bilan est plus que positif. Il l’est également du côté des Chœurs masculins de l’Opéra, très présents tout au long de l’œuvre, nuancés et parfaitement en place.
La production de Robert Carsen, elle, connaît ici sa quatrième reprise (créée en 1996, elle a depuis été reprise en 1998, 2004 et enfin en 2008, avec rien moins que Joyce di Donato et Anna Netrebko, cette dernière faisant ses débuts à l’Opéra de Paris à cette occasion). On retrouve intactes les qualités esthétiques des décors de Michael Levine admirablement éclairés par Davy Cunningham. Les panneaux rouge sang, oppressants, qui tour à tour dessinent une salle des banquets, une chambre, une nef d’église ou un tombeau, traduisent toute la noirceur et la violence du livret. De même, les costumes, rouges pour les Capulets, noirs pour les Montaigu, et robe blanche virginale pour Giulietta, riches et élégants, rendent l’action tout à fait lisible. Reste une direction d’acteur en retrait (le metteur en scène ne s’est d’ailleurs pas occupé en personne de cette reprise), manquant de finesse, malgré de beaux tableaux de batailles, qui empêche le drame de totalement nous captiver.