Ouvrage typique de ce que Verdi qualifiait lui-même « d’années de galère », I due Foscari est aujourd’hui rarement donné. Même si la musique est un peu plus soignée que celles d’ouvrages verdiens de la même époque, elle manque encore de cette inspiration mélodique typique du compositeur. A la décharge du grand Giuseppe, il faut reconnaitre que l’intrigue n’est pas ce qu’il y a de mieux ficelé. Actes I, II et début du IIIe: Jacopo Foscari est condamné pour un crime qu’il nie. Son Doge de père n’y peut rien et sa femme non plus. Milieu de l’acte III : on apprend coup sur coup qu’un mourant s’est confessé du crime dont on accusait Jacopo, mais aussi que ce dernier est mort pendant son départ en exil. Le Doge est forcé à la démission. Voyant arriver la fin de l’opéra, il juge opportun de mourir. La basse se réjouit sans qu’on ne sache précisément pourquoi. Musicalement, l’ouvrage annonce déjà Simone Boccanegra, avec des couleurs beaucoup moins sombres toutefois.
Ecrit pour un soprano hybride entre Caballé et Sutherland (comme un certain nombre de Verdi de jeunesse), le rôle de Lucrezia Contarini est à peu près impossible à distribuer idéalement aujourd’hui. Avec ses moyens, la québécoise Manon Feubel relève néanmoins avec succès le défi : le soprano n’a certainement pas la largeur exigée pour ce rôle mais elle en a les notes et la virtuosité. Certes, on a un peu l’impression d’une mozartienne égarée dans Verdi, mais ne boudons pas le plaisir d’entendre une belle voix trop rarement distribuée. Seul bémol, la difficulté à camper un personnage vraiment émouvant, mais il est vrai que le rôle est peu gratifiant de ce côté-là.
Par rapport aux interprètes récents du rôle, Ramon Vargas est plus près du belcantiste Giacomo Roppa, créateur du rôle et interprète de Donizetti ou Bellini. La voix est toujours un peu limitée dans le suraigu, il n’y a pas de variations malgré les reprises, le timbre est plus gris que par le passé, mais le style est impeccable, le phrasé remarquable, la coloration parfaitement maitrisée … Si on peut regretter encore ici une absence de caractérisation dramatique, l’engagement vocal du ténor mexicain fait plaisir à entendre et emporte l’adhésion.
Les défauts et qualités d’Anthony Michaels-Moore sont exactement inverses : la voix est devenue un peu rauque, le timbre manque d’éclat, beaucoup de notes sont prises par en dessous, mais le baryton britannique sait transcender ses défauts et nous offre, avec sa scène finale, le seul moment de vraie émotion de la soirée.
Les autres rôles sont excellemment distribués : la basse Marco Spotti est presque un luxe pour un personnage qui n’a même pas un air ; le percutant ténor Ramtin Ghazavi est une promesse à suivre ; à noter également l’excellence des artistes du chœur mobilisés pour des rôles de complément, en particulier la Pisanna de Paola Munari.
La direction de Daniele Callegari ne manque pas de l’allant et de l’énergie indispensable à ce type d’ouvrage, mais on pourra regretter un volume peu maîtrisé. Les chœurs sont bons et l’orchestre excellent dans l’absolu, mais un peu lourd. Verdi, et a fortiori celui de 1844, ce n’est pas Wagner !
Au global, une belle soirée, enthousiasmante malgré quelques réserves, et qui donne envie de réécouter cet ouvrage négligé. A quand d’autres raretés ?