Je vous écris d’un pays où des gens continuent à aller à l’opéra et où l’on entend de vrais applaudissements à la fin du spectacle. Cela procure un vrai bonheur. Ce pays est la Principauté de Monaco. On y a donné pour la première fois les Lombardi alla prima crociata de Verdi. Pour la première fois, oui. Depuis sa création en 1843, l’œuvre n’y avait jamais encore été représentée !
L’histoire est celle d’une tragédie amoureuse sur fond de première croisade avec son lot de personnages torturés, d’amants séparés et d’amours impossibles. Composé aussitôt après Nabucco dans l’espoir d’en rééditer le triomphe, cet ouvrage est d’une inégale qualité. Il y a des airs, des ensembles et des chœurs de toute beauté, mais d’autres où Verdi a manqué d’inspiration, s’est contenté d’utiliser les formules stéréotypées de la musique lyrique de son époque. Ces moments-là, bien sûr, ne sont pas les plus nombreux !
© Eric Devaux- Opéra de Monte-Carlo
Au plan musical, politico-religieux et patriotique, le Verdi des Lombardi est proche de celui de Nabucco. Le choeur du IVe acte « O Signore dal tetto natio » fait écho au « Va pensiero ». Les chœurs, parlons en. Celui de l’Opéra de Monte-Carlo a excellé. Il est peut-être le personnage principal du spectacle.
La distribution n’en est était pas moins brillante, dominée par la soprano géorgienne Nino Machaidze et la basse italienne Michele Pertusi. La première passe magnifiquement de l’humilité de la prière à l’ardeur de la guerrière. Sa voix est ample et souple. Elle explose sans crier, frémit sans faiblir, porte aux nues son personnage de Griselda. Michele Pertusi n’est pas une découverte. Il s’impose depuis des années sur les plus grandes scènes. Il n’a pas failli à sa réputation, offrant le beau bronze de sa voix au personnage de Pagano – l’assassin devenu ermite. Nous avons été moins convaincu par le ténor Arturo Chacón-Cruz dans le rôle d’Oronte – l’amant converti au christianisme. Il perd en musicalité à vouloir trop forcer dans les aigus. Dans un rôle certes plus réduit que le précédent – celui d’Ascanio, frère ennemi de Pagano – l’ « autre » ténor Antonio Coriano a été tout à fait convaincant. Nous avons été très touchés par la soprano bel cantiste Cristina Gianelli, mère de Griselda. Le reste de la distribution était sans défaut.
Dans ce beau spectacle en costumes historiques, semblable à un peplum moyen-âgeux, les décors ont été remplacés par des projections. Les allusions photographiques aux génocides du monde moderne nous ont paru inutiles, tout comme la référence au tableau « Guernica » de Picasso. Nous n’avons pas aimé non plus le sinistre défilé d’éclopés qui prit place sur le solo de violon censé évoquer, à ce moment de l’opéra, la béatitude religieuse. Cruelle distorsion entre ce que l’œil voit et ce que l’oreille entend ! L’orchestre fut admirable sous la direction de Daniele Callegari. (Violon solo : David Lefèvre).
Et c’est ainsi que les Lombardi ont triomphé au pays des Grimaldi.