Mais que diable allait-il donc faire dans cette galère ? David McVicar, dont on emploie en général les services pour ses mises en scène chics et fidèles, choisit un biais bien surprenant pour cette nouvelle production en forme de redécouverte d’I masnadieri à la Scala de Milan. L’ouvrage n’y a pas été donné depuis 41 ans et il faut dire que ce n’est peut-être pas le Verdi du meilleur cru, même pour une œuvre de jeunesse composée pendant les années de galère pour la scène londonienne. Elle reste prisonnière d’une gangue belcantiste mal dégrossie qui voit s’enchaîner arie et cabalettes en solo ou en duo, entrecoupées de scène de chœurs. Certes, de très belles pages surnagent, à commencer par l’exquis solo de violoncelle de l’ouverture, auquel Massimo Polidori rend justice, ou encore le premier air d’Amalia, « Lo sguardo avea degli angeli ». A ce problème stylistique s’ajoute celui d’un livret invraisemblable, adapté de Schiller, dont le dénouement ne peut tenir debout : Carlo, pour respecter son serment auprès des brigands, tue sa bien-aimée Amalia. Est-ce pour cette raison que le metteur en scène écossais emploie un subterfuge déjà éventé par d’autres avant lui ? Il rajoute une strate narrative par le biais d’un personnage muet identifiable à Schiller (embrigadé dans son jeune temps, à l’époque de l’écriture de sa pièce Les Brigands) qui agit comme une sorte de deus ex machina. L’action se voit pour cette seule raison transposée au XVIIIe siècle, dans un décor unique évoquant aussi bien la caserne militaire que le château du Comte (pour la lande et la forêt, on repassera). Au lieu d’aider à la compréhension, cette approche complexifie l’intrigue et finit par la subvertir : l’auteur tue Francesco et transforme le meurtre d’Amalia en un suicide volontaire. Elle ouvre aussi la porte aux expédients scéniques gratuits habituels : scène de nu sous la douche pendant un des chœurs des brigands (alors qu’il était pour une fois permis de montrer force viols sur scène, comme le livret en est truffé) et agitation épileptique des uns et des autres, un peu sur le modèle de Tchaïkovski imaginé par Stefan Herheim…
© Teatro alla Scala
Michele Mariotti, sûrement frustré de passer son temps à contrôler les équilibres lors des airs et duos, lâche les troupes dès que le chœur est en scène (ou que le ténor reste bloqué sur forte). On a connu le chef italien autrement plus inspiré dans le jeune Verdi, notamment en termes de variations rythmiques, de scansion et de couleurs.
Sur scène, les interprètes défendent leur rôle comme ils peuvent. Fabio Sartori s’en tire avec les honneurs dans un rôle entre Il Corsaro et Trovatore : les aigus en imposent, la ligne est soignée. On regrettera toutefois que dans une écriture qui lorgne du côté de Bellini, le ténor ne varie guère plus qu’entre le forte et le fortissimo qu’aucune demi-teinte ne vient apaiser. Lisette Oropesa, dont ce sont les débuts scaligères, est ce soir dans une relative méforme. Quelques duretés et aigus au bord du déraillement émaillent son premier acte. Si elle nous ravit dans toutes les exigences belcantistes du rôle – trilles, montées et descente de gamme et suraigus – à l’exception de variations convaincantes dans les reprises, il lui manque la chair vocale pour incarner les parties plus dramatiques du personnage. Elle peut toutefois compter sur son charisme scénique pour emporter la mise au final. Michele Pertusi déploie toute la noblesse de Massimiliano dans une ligne toute verdienne assise sur un métal obscur, miroir de la vieillesse et de la faiblesse du personnage. On s’interroge d’avantage sur le Francesco de Massimo Cavalletti, non que le baryton démérite ou présente des faiblesses techniques, mais bien davantage pour question d’adéquation stylistique. Là où l’on attendrait un chant tout en noirceur, il oppose un timbre clair et bien projeté qui demanderait un surcroît de couleurs et de vilenie pour croquer le portrait de ce frère salopard. On regrettera aussi, dans une œuvre qui leur fait la part belle, que les chœurs de la Scala restent en retrait et ne délivre qu’une prestation dans leur moyenne, à l’image des seconds rôles dont seul le Moser d’Alessandro Spina marque les esprits.