Après Paris en 2017 puis Marseille l’an passé, Le Barbier de Séville selon Laurent Pelly pose son cahier de musique sur le pupitre du Grand Théâtre de Bordeaux. Un même enthousiasme, secoué durant les représentations par de francs éclats de rire, accueille une approche intelligemment stylisée. Pour rappel, la mise en scène ébroue le chef d’œuvre de Rossini dans un décor composé de papier à musique, de feuilles mortes qui se posent comme des notes sur une portée dont les lignes forment des barreaux de prison. Dans cette cage, rouscaille une Rosine empruntée à un album de Bretecher. Le travail sur le mouvement et le caractère des personnages font la différence. C’est véloce sans agitation, drôle sans vulgarité, inventif sans contresens.
Nul ne sera étonné que Rossini aille comme un gant à Marc Minkowski, lui qui dirige Offenbach avec une joie communicative. Sa lecture de l’œuvre, intégrale, pétille en rythme sans faire de mousse. Ni esbrouffe, ni à-coups nauséeux censés éperonner la partition mais une allure vive qui n’exclut pas le sens du détail. L’ouverture cabriole ; la calomnie grince puis tonne ; le menuet de Bartolo balance un jarret ridicule ; la tempête virevolte. Tout signifie. L’Orchestre National Bordeaux Aquitaine jubile. La petite vingtaine d’artistes du chœur ajoute son grain de sel chaque fois que demandé. Au pianoforte, Nathalie Dang fait également preuve d’un joli sens de l’humour.
© Maitetxu Etcheverria
Pourtant, en ce soir de première, la mayonnaise ne prend pas autant qu’elle le pourrait. En cause, une distribution inégale. Non que les interprètes, pris séparément, déméritent. Au contraire, tous disposent de la virtuosité requise et mieux, maîtrisent un style qui ne se contente pas d’agilité. Les reprises sont variées. Les variations parfois même n’attendent pas la reprise. Les ornementations sont dictées par la situation et non par une quelconque volonté de marquer des points. Mais la disparité des formats vocaux nuit à l’équilibre des ensembles. D’un côté, des poids plumes : la Rosine fluette de Miriam Albano, l’Almaviva au pied léger de Levy Sekgapane, le Basilio sans matière grasse d’André Couville. De l’autre, des grandes voix qui ne s’en laissent pas compter, si attentives soient-elles à leurs partenaires. Familières des rôles dits de caractère, Julie Pasturaud propulse Berta au premier plan. Malgré des registres étonnamment disjoints dans son « Dottor della mia sorte », Carlo Lepore maîtrise tous les codes du bon barbon. Bartolo égrène les notes à la vitesse d’une mitraillette. Quand trouve-t-il le temps de respirer ? Florian Sempey, enfin, ne fait qu’un avec Figaro tant il a promené le rôle dans tous les théâtres. Sur sa scène natale, face à son public, on aurait pu craindre les excès d’un tempérament généreux. Grande est la tentation quand on en a les moyens de grossir le trait. De fait, avec ses airs rebelles de loubard grincheux, le personnage est énorme, mais la caricature ne déteint pas sur le chant long, large, souple et toujours lié.
© Maitetxu Etcheverria
Le surlendemain, en matinée, les interprètes de Figaro et Bartolo – Anas Seguin et Thibault de Damas – n’ont pas la même épaisseur. Faire ses premières armes avec des rôles aussi éprouvés est une gageure. La jeunesse n’est plus un atout quand il faut tirer les ficelles de l’intrigue ou jouer les vieillards lubriques. Mais cette deuxième distribution l’emporte sur la première car elle n’offre pas de déséquilibre. La technique d’Elgan Llŷr Thomas ne semble pas aussi assurée qu’au Théâtre des Champs-Elysées en 2017 mais son Almaviva a conservé sa consistance. Mikhaïl Timoshenko est un Basilio empli de promesses dont on attend avec intérêt l’interprétation de Masetto dans Don Giovanni en fin de saison à l’Opéra de Paris. Surtout Adèle Charvet, une fois lancée, met au service de Rosina un mezzo-soprano d’une rondeur réconfortante, aux ornementations sinon effrontées du moins assez audacieuses pour confirmer les espoirs placés dans cette jeune voix, lauréate de plusieurs concours, aux prises ici avec son premier grand rôle.