Belle reprise du Barbier de Séville en notre Opéra Royal de Wallonie au sein d’une mise en scène maison montée en 2008 par le directeur général de l’ORW. Cette reprise vaut à plusieurs titres. Plus qu’un grand homme de théâtre, on sent dans la griffe de Stefano Mazzonis, la patte d’un homme de spectacle efficace secondant les préoccupations d’un directeur de maison d’opéra, parfaitement conscient des tenants et aboutissants d’une soirée réussie en ses équilibres. Sa mise en scène n’est certes pas révolutionnaire mais toujours plaisante, d’un humour de bon aloi jusque dans ses détails régionaux, ne souffrant d’aucun temps mort et d’une grande lisibilité pour les néophytes, jeune public en particulier. Décors et costumes s’inscrivent dans cette lignée en une heureuse cohésion. Mazzonis a le mérite de se mettre au service d’une œuvre qu’il ne dénature ou ne s’accapare jamais. Il met également en valeur son équipe vocale dans ses qualités intrinsèques.
L’autre bonheur est le superbe travail du Maestro Paolo Arrivabeni. Une fois, encore, il tire le meilleur de l’orchestre au point qu’on oublie quelques faiblesses parce que l’on entend tout au long de l’après-midi du Rossini et Dieu seul sait à quel point les tubes du répertoire peuvent tomber dans la tarte à la crème. Je ne sais si vous partagerez mon avis mais, il suffit d’entendre trois phrases d’un orchestre ou d’un chanteur pour savoir ce que vous allez entendre durant le spectacle. Avec Arrivabeni, vous savez que l’après-midi sera au service du compositeur, d’un style et des chanteurs. Dans la grande tradition du Maestro Concertatore (espèce en voie de disparition) Arrivabeni cisèle son accompagnement à l’aulne des moyens de ses solistes mais aussi, de leur personnalité.
Au sujet de l’affiche, plus que les qualités de chacun, il revient à Mazzonis d’avoir réuni une équipe d’une rare cohésion, jusque dans ses moindres détails. On retrouve avec bonheur, quelques artistes locaux, on retient l’intelligence de Patrick Delcour (Fiorello) toujours à même de faire exister son personnage en quelques répliques, on citera la composition muette mais irrésistible du jeune Gilles Mahia, serviteur en mode Benny Hill bête et méchant, il crève littéralement la scène. Autre joie de retrouver la toujours superbe Alexise Yerna, presque trop belle pour Berta. Celle qui fut pendant de longues années la plus captivante titulaire des premiers plans des grandes opérettes françaises, impose subtilement une Berta qui pourrait bien être la rivale de notre Rosina. Berta consolerait notre Dottore que cela ne nous étonnerait guère. Yerna est savoureuse en vieille fille en manque de présence masculine pour ne pas dire davantage et quel bonheur d’entendre une Berta chanter ! Le Figaro du jeune Nicola Alaimo confirme ses immenses moyens (Caterina Cornaro à Amsterdam) mais aussi, un tempérament scénique torrentiel et équilibré. Ce baryton est promis à un superbe avenir, cela ne fait pas un pli, à lui de choisir ses rôles, résister à quelques sirènes pour durer. Vocalement, il lui appartient de consacrer du temps à une émission d’une incroyable facilité mais pas toujours homogène ou orthodoxe. Deux piliers du Festival de Pesaro composent le rayon voix graves. Bruno de Simone est un grand seigneur dans Bartolo, on oubliera cette après-midi quelques curieuses hésitations dans la ductilité du sillabico, pour apprécier la classe internationale de ce digne héritier d’Enzo Dara (De Simone a de plus pour nous, un timbre bien supérieur à Dara), qui plus est, l’acteur est au sommet de ses finesses. Carlo Lepore compose un savoureux et totalement décalé Basilio. Quelques limites vocales (léger plafonnement de l’aigu) mais la composition est délicieuse et irrésistible. L’Almaviva de Sergei Romanovsky est un rien à la traîne. Juvénile, d’une belle spontanéité scénique, son jeune premier est parfaitement crédible. Le ténor russe pêche par un manque d’italianité tant dans l’émission que dans les couleurs. Son évidence rossinienne ne saute pas aux oreilles, la voix est d’une certaine souplesse mais on ne peut à proprement parler de virtuosité (Almaviva n’étant pas non plus le plus grand tricoteur devant l’Eternel). On doit sans doute à Arrivabeni la volonté de rouvrir le « Cessa di più resistere ». Le Maestro faisant plaisir à Sumi Jo en lui offrant le « Ah se ver » alternatif, a sans doute voulu rééquilibrer la partie d’Almaviva. Le ténor s’en sort honorablement, malgré de complices et complaisants arrangements du Maestro mais l’air n’apporte pas grand chose à la gloire du jeune chanteur. Nous sommes surtout persuadé que le répertoire de ce bel artiste est autre part, tout simplement.
Et revint la Sumi Jo ! Sa renommée explique seule, le choix psychédélique et délicieusement décadent d’une soprano « légérissime ». Dieu seul sait que je prône une Rosina contraltino. Mais bon, Sumi nous cueille avec son adolescente, véritable porcelaine de Tolède, femme enfant, capricieuse, un rien monolithique (il est bien difficile d’imaginer dans ce chant de canari assumé, la future Comtesse Almaviva qu’est sensée devenir notre Rosina). Jo malgré une usure évidente des moyens (suraigu, épaisseur du son, et vibrato de plus en plus serré) se présente en bonne forme, maîtrise encore exhaustivement son numéro de diva très début de siècle évoquant les grandes cocotes d’école ibérique. Malgré le plaisir non dissimulé du public à l’acclamer une fois encore, nous ne pouvons encourager trop souvent de telles distributions même au prix d’un « Ah se ver, l’innocenza di Lindoro » totalement accaparé par une diva en parade plus que dans la stylistique de cette rareté composée à l’intention de la Fodor Mainvielle. Au final, une après-midi de pure réjouissance et Rossini en son Barbiere n’en demande pas davantage.