Nous commencerons ce compte rendu par un coup de gueule. Un simple coup d’œil sur le minutage indiqué sur le site de l’Opéra national du Rhin nous avait déjà mis la puce à l’oreille : à peine deux heures quarante de spectacle, entracte inclus, contre plus de trois heures dix de musique cet été à Pesaro, il y aurait des coupes ! Et de fait, il manque des mesures par-ci par-là et évidemment le « Cessa di più resistere ». Comment justifie-t-on ces pratiques alors qu’une édition critique existe depuis des décennies ? Et que l’on ne nous dise pas que l’édition critique ne tient pas sur la longueur, la production de Pizzi à Pesaro venant brillamment dénoncer ces fadaises, ou que les coupes s’expliquent par les limites des interprètes, Ioan Hotea ayant interprété le fameux air d’Almaviva cet été à Orange.
Passé l’agacement que provoque ce charcutage, force est de constater que la proposition faite par l’Opéra national du Rhin a bien des atouts.
Figaro (Leon Kosavic), le Comte Almaviva (Ioan Hotea), Berta (Marta Bauza), Bartolo (Mario Lepore), Basilio (Leonardo Galeazzi) et Rosina (Marina Viotti) © DR
A commencer par la nouvelle production de Pierre-Emmanuel Rousseau, qui cumule ici les rôles de metteur en scène, décorateur et costumier (comme Pizzi cet été, on y revient !). Les décors d’abord nous transportent sans aucun doute à Séville, avec ses façades rouge sang, ses azuléjos et ses patios ombragés. Le jeune metteur en scène revendique s’être inspiré d’un Goya « qui aurait mis les doigts dans la prise » pour les costumes. On retrouve en tout cas des costumes aux couleurs chatoyantes qui rappellent les tenues de torero chez les hommes, un rien défraîchies chez Figaro qui vit visiblement d’expédients dans la rue, avec ses tatouages et ses cicatrices.
La direction d’acteur séduit dans l’ensemble, n’étaient les pas de danse que l’on semble voir et revoir d’un spectacle à l’autre. N’y-a-t-il donc aucun autre moyen de faire vivre un ensemble chez le Rossini comique que de faire gesticuler les chanteurs sur des chorégraphies plus ou moins grotesques ? Les personnages sont en tout cas bien dessinés, un Figaro facétieux et cupide, un peu « bad boy », qui a le couteau facile, un Comte qui a trop conscience de son rang pour être sympathique, un barbon pas si ridicule et une Rosina qui sait ce qu’elle veut. Par ailleurs les mouvements sont finement réglés et parfaitement en musique, comme ces coups de brosse infligés par Berta à Rosina qui se synchronisent avec les vocalises du « Una voce poco fa ».
Marina Viotti est d’ailleurs (avec le Bartolo irrésistible de Carlo Lepore), la grande triomphatrice de cette matinée. Son mezzo profond et chatoyant capte l’oreille dès son entrée. La suite ne déçoit en rien, la voix, bien projetée, est longue et homogène sur toute la tessiture, les vocalises perlées coulent, sans aucune dureté. Surtout la chanteuse suisse ne se contente pas des variations habituelles : elle agrémente les reprises avec goût, prenant soin de faire vivre son personnage. On comprend ainsi aisément que cette Rosina mutine et volontaire mène son petit monde à la baguette.
Son tuteur, Bartolo, a la faconde de Carlo Lepore. Il est la parfaite basse bouffe du rôle, aussi investi dans les récitatifs que dans les airs et ensembles. Surtout, dans cette distribution jeune, il vient rappeler que la grammaire rossinienne ne s’improvise pas. Son « A un dottor della mia sorte » est d’une rigueur rythmique absolue et il donne une leçon de canto sillabico rapide : le texte ne disparaît jamais et le chanteur se paie même le luxe de rajouter mimiques et borborygmes.
Une moindre maîtrise dans le chant rapide est un peu le seul reproche que l’on pourrait faire au Figaro de Leon Košavić (ainsi que quelques aigus escamotés dans son air d’entrée). Pour le reste, le jeune chanteur croate fait entendre une voix saine et sonore, joliment timbrée, en plus d’une énergie qui dévore les planches. Voilà un baryton qu’il conviendra de suivre avec attention.
Le Comte Almaviva a donc les traits et la voix de Ioan Hotea, comme cet été à Orange, lorsqu’il a remplacé au dernier moment Michael Spyres. La première scène ne le montre pas sous son jour le plus flatteur, avec en particulier des vocalises passablement savonnées et un timbre plutôt nasal. Pourtant le jeune ténor roumain prend ses marques au fur et à mesure du spectacle et fait valoir un registre aigu aisé et un vrai sens comique du travestissement vocal en Don Alonso, maître de musique.
Le Don Basilio de Leonardo Galeazzi, espèce de vieillard cacochyme et libidineux, au timbre proche de celui de Carlo Lepore, réussit une calomnie grinçante à souhait. La distribution est complétée par deux membres de l’Opéra Studio de l’OnR : Marta Bauzà, Berta peut être moins caricaturale et donc moins drôle mais mieux chantante que souvent, et Igor Mostovoi, Fiorello sonore.
Les chœurs masculins de l’Opéra national du Rhin font très bonne impression, que ce soit en musiciens ou en soldats. Tout juste notera-t-on un léger décalage avec l’orchestre au premier acte.
Ce n’est d’ailleurs pas le seul au cours de la matinée, notamment dans les passages les plus vifs de la partition. La préparation de l’Orchestre symphonique de Mulhouse ou la direction de Michele Gamba ne semblent pourtant pas en cause : ils réussissent en particulier un finale de l’acte I parfaitement réglé et une tempête des plus ébouriffantes. Le problème pourrait être à rechercher du côté de la fosse d’orchestre de La Filature à Mulhouse (salle moderne par ailleurs très confortable et à l’acoustique réussie) qui nous a semblé inhabituellement profonde, coupant en partie les chanteurs de la fosse.