La nouvelle production d’Il barbiere di Siviglia signée Pier Luigi Pizzi rappelle par bien des aspects La pietra del paragone montée l’an passé dans ces mêmes lieux (l’Adriatic Arena de Pesaro que nous fréquentons, espérons-le, pour la dernière fois, l’inauguration de la nouvelle salle de spectacle intra-muros étant annoncée pour l’an prochain), avec de nombreux interprètes en commun. Pourtant le vague ennui que nous inspirait la production l’année dernière a fait place à une franche jubilation.
On retrouve dans cette nouvelle production bien des lieux communs du prolixe metteur en scène. Les décors, très élégants, avec leurs bâtiments à colonnades et leurs intérieurs bourgeois, sont ainsi uniformément blancs. On reconnait également le goût du natif de Milan pour les dénudés masculins : le Comte apparaît sur une terrasse torse nu avant d’enfiler sa chemise à jabot, tandis que Figaro, qui bénéficie du physique très avantageux de Davide Luciano, passe son « Largo al Factotum » à se déshabiller pour prendre son bain. Mais loin de se contenter de ses marottes, le metteur en scène donne une lecture certes classique mais souvent pertinente et fouillée de la partition, pour ce qui constitue, étonnamment, à 88 ans, son premier Barbier. Les gags sont ainsi parfaitement réglés, telle l’ouverture de la bouteille de champagne synchronisée avec le « come un colpo di cannone » de Don Basilio et les idées fourmillent : on retient en particulier une leçon de musique hilarante, au cours de laquelle le Comte se présente sous le déguisement d’un nain, la réussite de la scène résidant dans sa réalisation millimétrée, avec la complicité joueuse de Maxim Mironov. Pier Luigi Pizzi récolte à juste titre un triomphe aux saluts, non seulement pour son immense carrière mais surtout pour avoir ciselé, assisté de Massimo Gasparon, un bijou d’humour.
Tout n’est cependant pas aussi parfaitement réussi à notre goût. En particulier, la vision de Rosine qu’a le maestro Pizzi, jeune écervelée qui ne cesse de minauder, rend le personnage plutôt irritant et antipathique. De même, l’utilisation intensive du proscenium a certes l’avantage de rapprocher les chanteurs du public mais nuit à l’homogénéité des ensembles, en particulier lorsque le metteur en scène place ses chanteurs de part et d’autre de la salle.
Dans ces conditions, l’absence de décalage dans ces ensembles suffirait à elle seule démontrer l’excellence de la mise en place musicale. Dès l’ouverture, aux crescendi et à l’équilibre des pupitres parfaitement dosés, on sait que la direction d’Yves Abel nous emportera jusqu’au final. Il peut compter sur un Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI virtuose, qui nous a semblé plus en forme que deux jours auparavant dans Ricciardo e Zoraide. C’est la deuxième fois que le chef canadien dirige la partition dans le cadre du Festival Rossini de Pesaro après 1997 (avec Paul Austin Kelly, Bruno Pratico et Sonia Ganassi) et il confirme, s’il était besoin, son affinité avec le répertoire rossinien, (dont il a laissé la trace au disque dans Matilde di Shabran).
Pietro Spagnoli (Bartolo) Davide Luciano (Figaro) © Studio Amati Bacciardi
Les chanteurs sont au diapason de cette réussite, aussi engagés scéniquement que scrupuleux musicalement. À tout seigneur tout honneur, Davide Luciano est clairement celui qui mène la danse, virevoltant sans cesse pour faire aboutir les intrigues de son patron : c’est d’ailleurs lui qui accompagne à la guitare, la sérénade du Comte. On a peut-être connu Figaro plus aristocratique, mais rarement plus efficace et plus en verve : l’émission est franche, la voix sonore même dans les passages ornés. S’il surpasse ses partenaires en termes de volume sonore, il sait alléger pour ne pas les couvrir dans les ensembles.
Maxim Mironov a l’allure aristocratique du Comte Almaviva mais en a également l’élégance vocale. Si la voix n’est pas immense, elle est joliment timbrée, ductile, sans duretés. Le ténor russe a aujourd’hui une telle maitrise de son instrument que les acrobaties du « Cessa di più resistere » en paraîtraient presque aisées.
Les « anciens » ne s’en laissent pas compter pour autant. Pietro Spagnoli a-t-il jamais été la basse bouffe requise par Bartolo ? Certes, le timbre s’est émacié et la projection se perd parfois, notamment dans le canto sillabico rapide, mais le baryton italien peut compter sur son immense métier pour emporter le morceau : l’idée de chanter « l’aria de Caffariello » en voix de fausset semble d’une telle évidence (et est elle si bien réalisée) qu’on se demande pourquoi on ne l’a jamais entendue ainsi. Michele Pertusi est lui plus à l’aise en Basilio qu’en Don Pasquale à l’Opéra de Paris en juin dernier. La duplicité du faux dévôt est parfaitement rendue et sa « Calumnia » est persiflante à souhait. On notera le clin d’œil consistant à distribuer Berta à Elena Zilio, qui était Pippo dans La gazza ladra à Pesaro en 1981 ! Malgré une voix aux registres désormais épars, elle réussit une aria di sorbetto pleine de malice.
Reste la Rosina d’Aya Wakizono, qui laisse un impression plus contrastée. La jeune chanteuse japonaise a beau avoir une bien jolie silhouette et être très à l’aise sur scène, faire valoir des vocalises déliées et une agilité certaine, elle ne parvient pas à effacer l’agacement que nous inspire le personnage de péronnelle inconséquente imposé par la mise en scène. Sans doute aurait-il fallu pour cela un timbre plus personnel ou des variations plus excitantes.