A quoi tient le destin d’un opéra ? Il Campanello de Donizetti serait sans doute régulièrement affiché s’il comportait un premier rôle de ténor. On ne voit pas pourquoi sinon cette partition, créée à Naples en 1836, demeure confidentielle tant elle contient tous les ingrédients qui ont fait le succès d’autres œuvres comiques : d’un côté un livret pétillant avec son barbon, sa fausse ingénue et son amoureux éconduit dont la jeunesse des interprètes ici renouvelle le rapport ; de l’autre, des mélodies gouleyantes prétextes à autant de facéties vocales, le chant syllabique n’étant pas la moindre.
La création fut un tel triomphe que Donizetti s’empressa de transformer les dialogues parlés en récitatifs et d’abandonner le dialecte napolitain alors en vigueur dans ce genre de farce, pour que l’opéra puisse partir à la conquête d’autres scènes.
D’une courte durée, moins d’une heure, la pièce conte l’histoire d’un apothicaire, Don Annibale, incessamment dérangé durant sa nuit de noces, par son rival, Enrico, décidé à l’empêcher sous divers déguisements de consommer son mariage. Il parviendra à ses fins après s’être fait passer pour un jeune excentrique français fiévreux, un chanteur aphone puis enfin un vieillard hypocondriaque, il campanello étant la sonnette actionnée par l’importun chaque fois que Don Annibale pense enfin pouvoir se glisser dans le lit de son épouse.
Représenté au Wexford festival Opera dans la salle de conférence du Clayton Whites Hotel, un des établissements les plus modernes de la ville, l’ouvrage a été adapté aux contraintes du lieu : pas d’orchestre mais un piano en guise d’accompagnement et une scène de fortune savamment agencée pour comporter son lot de portes qui claquent. L’enseigne lumineuse de la pharmacie sert d’écran aux sous-titres. Tout est intelligemment pensé pour répondre aux exigences de l’intrigue avec un minimum de moyens et tout fonctionne admirablement par la conjonction de la mise en scène – signée Roberto Recchia – et l’engagement de jeunes interprètes décidés à mouiller leur chemise pour emporter la partie. Chacun aura d’ailleurs droit à son aria di baule, cet air qu’aux XVIIIe et XIXe siècles les chanteurs apportaient dans leurs malles afin de les insérer, sans souci de dramaturgie, dans les opéras qu’ils interprétaient pour mieux se mettre en valeur.
© Paula Malone Carty
Que la comédie prenne le pas sur le chant s’avère alors inévitable, chacun ayant tendance à en faire le maximum pour tirer la couverture à lui dans le peu de temps imparti, quitte à flirter dangereusement avec la justesse, pianiste – Tina Chang – et chœur – un chanteur par pupitre – compris.
C’est ainsi que Rachel Croash, Serafina – l’épouse – se fait griller la première place par Michaela Parry – sa mère. Ni l’une, ni l’autre ne détiennent les clés d’une école qui voudrait chaque intention assortie d’effets vocaux mais leur bonne humeur est contagieuse, tout comme l’est celle d’Aidan Coburn en Spiridione – le majordome –, de Pietro Di Bianco en Don Annibale et de Michele Patti en Enrico, chacun forçant sa voix plus que de raison avec l’enthousiasme inconscient de la jeunesse dans une surenchère d’investissement certes comique mais à la longue éprouvante. Cadences approximatives, pauvreté du vocabulaire, volume outré entre mezzo forte et forte sont le prix d’un engagement inconditionnel qui, chez les deux premiers rôles – Don Annibale et Enrico – balaye la critique tant les deux barytons rivalisent de verve scénique. Que l’on canalise leur énergie, que l’on discipline leur émission et ces deux-là pourraient faire parler d’eux.