Il Corsaro de Verdi n’a pas souvent l’honneur des programmateurs. Sûrement est-ce la faute de la réputation que traîne l’ouvrage sur ses conditions d’écriture : Verdi en aurait bâclé la partition en moins de temps qu’il ne faut pour dire « à l’abordage ! » afin de se délier d’un vieil engagement. Pourtant si l’ouvrage traîne un boulet c’est surement moins celui de la composition, déjà mûre, parsemée de belles pages et en préfigurant bien d’autres, que d’un livret qui rejoint le podium des inepties romantiques dès son entrée en compétition, avec une mention spéciale pour Medora, reine des cruches, buvant le poison quasi sans raison et juste avant le retour de Corrado.
A Piacenza, en pleines terres verdiennes, on est allé chercher la production voisine de Busseto, déjà chroniquée il y a presque une décennie par Christophe Rizoud. Ponton de navire avec ses cordages et voilages, elle a le mérite de permettre des changements de lieux très rapides et d’éviter de longues interruptions pour passer d’une scène à l’autre. En revanche, la dramaturgie n’a pas aussi bien survécu que le gréement et la direction d’acteur ne se départ jamais d’une gestuelle aussi éculée que grandiloquente.
Un dernier handicap vient parasiter cette représentation, il s’agit du théâtre lui-même. Bijou de théâtre communal à l’italienne en forme de cloche, tout en bois sur quatre niveau de loges et un de galleries, son acoustique s’avère pourtant assez sèche. L’orchestre régional d’Emilie-Romagne, conduit avec célérité par Matteo Beltrami, ne manque pourtant pas de qualité, notamment une première violoncelliste (Diana Cahanescu) très sensible dans le solo composé par Verdi dans la scène de la prison de Corrado. Le choeur du théâtre municipal de Piacenza, bien préparé par son chef Corrado Casati, brille par son unité et une excellente prononciation.
L’on comprend dès lors vite que Piacenza s’est attelée à réunir une équipe de chanteurs dont la valeur n’attend pas le nombre des années. D’ailleurs, l’affiche pourrait figurer sur les plus grandes scènes sans dépareiller. Si à 25 ans Ivan Ayon Rivas commence juste à se faire un nom, sa voix puissante, lumineuse et à l’aigu aisé n’y est sûrement pas étrangers. Certes le rôle de Corrado se rapproche d’un Manrico aux accents guerriers prononcés mais l’on regrettera que le ténor péruvien n’allège pas davantage sa ligne vocale et soit encore bien avare en demi-teintes. Serena Gamberoni (37 ans), dispose des moyens nécessaires au portrait de Medora, notamment un aigu aérien. Pourtant, les respirations profondes qu’elle laisse entendre trahissent l’effort que l’écriture verdienne lui impose. Des efforts qui ne laisseront pas la place à quelques sons filés dans l’air d’entrée. Son agonie au dernier acte lui permettra de montrer davantage de sensibilité et de couleurs. Roberta Mantegna (30 ans), à l’inverse, brille par une technique irréprochable, gage de vocalises réglées au millimètres et de belles variations dans les reprises. La voix perçante et nasalisée ne concourt pourtant guère au romantisme du personnage, amoureuse malheureuse, assassin involontaire. Enfin, Simone Piazolla (32 ans) confère à Seid son volume et son agilité. Le chant se pare de belles couleurs et résiste aux assauts de la cabalette du troisième acte. Aux saluts, cette distribution solide mais pas toujours subtile, récupère la plus grande part du butin.