Si les résurrections d’opéras oubliés sont la facette la plus médiatique des activités du Palazzetto Bru Zane, on aurait tort de négliger toute la diversité des activités du Centre de musique romantique française. Outre ses activités en faveur de la musique de chambre, il pratique aussi la défense du répertoire vocal sous la forme de concerts à programme, dont on avait pu avoir la saison dernière un bel exemple avec « Au pays où se fait la guerre », sélection d’airs et de mélodies à caractère militaire inspirée par le centenaire de la Première Guerre mondiale : parti de Venise en septembre 2014, ce récital continuera à tourner la saison prochaine, toujours porté par Isabelle Druet.
La formule ayant ainsi fait ses preuves, Alexandre Dratwicki l’a reprise autour d’un autre thème, celui du conte de fées (pour l’an prochain, avec la perspective des élections présidentielles, le PBZ annonce un programme intitulé « Votez pour moi »). Depuis plus de deux siècles, les librettistes ne se privent pas d’adapter Perrault ou Grimm, d’où l’embarras du choix pour qui part à la recherche d’opéras féeriques. Même si cette sélection révèle bien des compositeurs inconnus, on aurait pu aussi songer, par exemple, à la féerie lyrique de Félix Fourdrain, Les Contes de Perrault (1913), et à bien d’autres encore. Soucieux d’arranger les morceaux pour former comme un récit, Alexandre Dratwicki est également allé chercher quelques pages hors du registre féerique, comme l’air d’entrée d’Isabella dans L’Italienne à Alger, seul morceau qui ne soit pas d’un compositeur français, bien qu’il soit donné en traduction. Un peu de diversité est également apporté par l’air de Fantasia dans Le Voyage dans la lune qui, par son contexte onirique, relève en partie du conte, ainsi que par l’air de la duchesse tiré de La Fille du tambour-major. Il a pris aussi la liberté de modifier les paroles lorsque l’une des chanteuses porte le pantalon pour incarner le prince charmant, le tout étant justifié par le fil directeur censé relier tous ces épisodes en une seule histoire.
Comme pour « Au pays où se fait la guerre », le choix a été fait de recourir non pas à la version piano-chant de ces partitions d’opéra, mais à des transcriptions pour quatuor avec piano, ce qui permet en outre quelques plaisirs supplémentaires sous la forme de respirations purement instrumentales. C’est là qu’intervient à nouveau le savoureux quatuor Giardini, complice du PBZ dans l’exploration de compositeurs méconnus ou d’œuvres négligées. Alors que la saison prochaine lui sera en partie dédiée, c’est avec Fernand de La Tombelle que s’ouvre ce programme, et l’unique Allegro du quatuor ici joué éveille le désir d’en entendre davantage. Voilà d’ailleurs un reproche qu’on pourrait adresser à ce récital : il suscite la frustration car il révèle parfois d’éblouissantes merveilles qui ne durent que quelques minutes et l’on désespère de jamais pouvoir découvrir le reste de l’œuvre. C’est particulièrement vrai du premier morceau chanté de la soirée, tiré de La Belle au bois dormant, opéra que Charles Silver dédia « A ma chère femme », la soprano Georgette Bréjean-Silver, pour qui Massenet ajouta le Fabliau de Manon et à qui il destina le rôle de la Fée dans Cendrillon : l’air de la princesse Aurore est un pur ravissement, et si tout le reste de cette Belle au bois dormant se situe au même niveau, il y a urgence à la réveiller d’un sommeil qui dure depuis sa création en 1901 à Marseille. Au chapitre des vraies raretés, on signalera aussi un duo tiré de l’opéra Le Petit Poucet, de Laurent de Rillé, autre illustre inconnu, ou l’air du Flirt, venant de La Saint-Valentin de Frédéric Toulmouche. Comparé à ces messieurs, le Maltais Nicolas Isouard serait presque une star, avec sa Cendrillon contemporaine de celle de Rossini, tout aussi virtuose et où les méchantes sœurs se prénomment également Clorinde et Thisbé.
Pour défendre ces pièces, le Palazzetto a réuni deux bien belles jeunes voix. Récemment entendue en voluptueux goupil dans une Petite Renarde rusée qui se promène à travers la France, Caroline Meng retrouvera la saison prochaine, également en tournée, la Deuxième Sorcière de Didon et Enée dans une production vue à Rouen et Versailles en 2014. Son chant possède certaines qualités de « rentre-dedans » nécessaires à l’interprétation de tous les princes charmants confiés à des mezzos en travesti, et parfaitement complémentaires avec celles de sa partenaire. Lauréate du second prix et du prix du public lors du concours Reine Elisabeth en 2014, Jodie Devos est enchanteresse, même sans baguette de fée à la main. Dotée d’une articulation hors pair, la soprano ravit par d’impalpables aigus pianissimos et par une sensibilité qui en font l’interprète désignée du répertoire français. On se réjouit donc particulièrement d’apprendre qu’elle contribuera en septembre prochain à redonner vie au Chalet d’Adolphe Adam à Toulon, avant d’être Lakmé à Tours et Eurydice d’Orphée aux enfers à Liège en décembre.