Si Massenet a eu quelques occasions de se retourner dans sa tombe au cours de l’année du centenaire de sa mort, il doit à présent reposer en paix, puisque l’un de ses désirs vient de se réaliser : l’oratorio La Vierge, composé pour être donné en la cathédrale Notre-Dame de Paris, mais créé au palais Garnier dans des circonstances peu propices, y a enfin été exécuté. De plus, ce qui ne gâte rien, l’œuvre a bénéficié d’une exécution assez exemplaire, les organisateurs de ce concert ayant su mettre toutes les chances de leur côté.
Avec Patrick Fournillier, on avait fait le choix du plus massenétien de nos chefs français : directeur musical de l’Opéra de Saint-Etienne de 1988 à 2004, on lui doit quantité d’intégrales indispensables, sans lesquels notre connaissance de Massenet ne serait pas ce qu’elle est, Amadis, Cléopâtre, Grisélidis… On lui doit notamment une version de La Vierge avec Michèle Command, enregistrée en direct au Festival Massenet en 1990 (Koch Schwann, désormais introuvable). Autant dire qu’il est aujourd’hui le mieux à même de diriger cette partition quelque peu hybride, où le jeune Stéphanois s’éparpille entre différents styles : naïveté « médiévale » de la première partie, rutilance de la deuxième, pour des Noces de Cana qui évoquent la bacchanale de Samson et Dalila, dramatisme haletant de la troisième, qui retrace l’arrestation du Christ, et grand déploiement extatique pour l’Assomption finale. Le chef a fort à faire face à des effectifs considérables, et il faut tout son talent pour dompter l’acoustique de Notre-Dame. Les effets de spatialisation (les trompettes sur une galerie, les chœurs invisibles, la dernière intervention de la Vierge en train de monter au ciel) compliquent encore la tâche, mais Patrick Fournillier parvient à préserver la lisibilité de la partition, sauf peut-être pour le Chœur de l’Armée française, transformé par la réverbération des lieux en une masse assez indistincte, malgré son bel engagement. On saluera néanmoins la prestation des différents ensembles sollicités, qu’il s’agisse des enfants de la Maîtrise de Notre-Dame ou du chœur Sotto Voce, qui fait une entrée remarquée par l’allée centrale pour le Magnificat final.
A l’orchestre, compose d’élèves du CNSM de Paris, répondent les solistes, également issus du département des disciplines vocales du conservatoire. La soprano, la mezzo et le ténor n’ont guère l’occasion de se faire entendre en solo, car leurs interventions sont toujours en ensemble, mais le baryton Samuel Hasselhorn manifeste une belle assurance dans les passages qui lui sont destinés. Déjà remarquée dans La Ronde en février dernier, Laura Holm est un archange Gabriel de toute beauté, dont le soprano juvénile et cristallin offre une réplique idéale à la voix plus dramatique de Norah Amsellem, Vierge au timbre corsé, et à laquelle on pardonne volontiers son vibrato dans l’aigu tant elle met de ferveur à interpréter le rôle sur qui repose l’œuvre, avec notamment un superbe « Rêve infini », qui ferait regretter que Massenet n’ait pas conclu sa Légende sacrée sur cet air, digne des plus beaux de ses opéras.