Il faut croire que si Offenbach avait osé adapter en 1857 le Bruschino de Rossini en une opérette en un acte, c’est que cette œuvre lui correspondait bien. Légère et sautillante, elle connut en effet un grand succès, et semble avoir réjoui le roi du tournedos au point qu’il surnomme l’adaptateur « Le Petit Mozart des Champs-Élysées », tant il trouve de connivence dans leurs formes d’humour musical. Toutefois, à l’invitation d’Offenbach d’assister à la première, il répond négativement avec son humour coutumier : « Victime, tant qu’on voudra, complice jamais ! »
Ce soir, c’est la version « originale » de Rossini (1813) qu’il nous est donné d’entendre. La formule d’un concert « mis en espace » est souvent un peu bâtarde. À Massy, Mirabelle Ordinaire – dont nous avions apprécié La Vie parisienne – est beaucoup plus ambitieuse. Avec l’aide de Jérôme Jousseaume (lumières) et de Laurent Sarrazin (écran-damier en fond de scène avec des surtitres fort bien faits), elle concentre l’action à l’avant-scène, devant l’orchestre, ce qui on le sait est toujours délicat en termes de lyrique. Malgré des écrans vidéo, le chef a parfois du mal à contrôler tout ce qui se passe dans son dos, et cela n’aide pas les chanteurs à aller de l’avant, ce qui peut expliquer une certaine lourdeur de l’ensemble. D’autant que si tout semble réglé comme papier à musique sur une (fausse ?) bonne idée – damier noir et blanc au sol, costumes noir et blanc, chaises noires et blanches – on a d’autant plus de mal à suivre le travail de la metteuse en scène dont les intentions semblent plus compliquer et alourdir l’action que de la fluidifier.
Un chef italien paraissait bien indiqué pour insuffler une certaine volubilité à un orchestre français, mais Enrique Mazzola, pourtant très spécialisé ès Rossini, a bien du mal à entraîner l’Orchestre d’Île de France dans le style rossinien. Ce soir, rien de vraiment sautillant, pas de bulles de Champagne vous chatouillant le nez, même l’ouverture dont les célèbres légers coups d’archers sur les pupitres sont complétés de violents coups de pieds par terre des instrumentistes, sans doute pour faire bonne mesure. Le résultat est lourdingue et indigeste. Globalement, l’orchestre, un peu trop important par rapport à l’orchestration d’origine, manque de légèreté.
© Photo Opéra de Massy
Le reste est un peu à l’avenant. Pourtant, le choix de l’œuvre pouvait paraître judicieux pour de jeunes chanteurs solistes, mais n’est-il pas de fait trop ambitieux ? Lorsque l’on étudie les représentations récentes, les enregistrements et les captations vidéo, on s’aperçoit surtout de l’extrême difficulté de l’œuvre. Même Juan Diego Florez, à Pesaro en 1997, semble parfois à la peine. La technique vocale des jeunes chanteurs de ce soir est uniformément problématique, comme s’ils s’étaient tous formés au même moule. On a l’impression qu’on leur enseigne la projection avant tout, et qu’on leur demande de privilégier un maximum de puissance, ce qui les empêche d’alléger et de faire beaucoup de nuances, si tant est que certaines voix en soient capables. Le style vocal est globalement également en cause : là où l’on attend des balles de ping-pong propulsées avec vitesse, puissance et précision, rebondissant en tous sens, on n’a guère que des balles de mousse s’écrasant mollement. De tout cela naît rapidement un certain ennui.
Pourtant, tous ces membres de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris ont visiblement un très grand plaisir à se produire en scène. On note quelques gestes et attitudes gauches, quelques poses stéréotypées, et sans doute aurait-il fallu plus de répétitions pour leur faire perdre certaines habitudes déjà ancrées (ah, les mains sur les hanches !), d’autant que certains sont loin d’avoir l’âge de leur rôle. Quelques protagonistes se détachent néanmoins de l’ensemble, et l’on a plaisir à souligner la qualité vocale et scénique du Bruschino de Damien Pass, à la voix chaude et au jeu vif et bien en situation, qui fait bien augurer d’un début de carrière déjà très prometteur. On aime moins la voix âpre et parfois criée, et aux vocalises peu alertes de Pietro di Bianco (Gaudenzio), pourtant déjà aguerri au répertoire de Mozart et de Rossini, mais au jeu scénique à la limite de l’outrance. Maciej Kwaśnikowski (Florville) manque un peu de légèreté, notamment dans les vocalises, mais assure son rôle de manière agréable et élégante. Quant à la Sofia de Ruzan Mantashyan, elle séduit plus par la musicalité d’une voix légère et harmonieuse plutôt bien menée que par sa conception d’un rôle au demeurant plus que traditionnel, où l’on aurait pourtant aimé voir plus de duplicité féminine.
Un autre concert avec les mêmes chef et orchestre sera donné le 16 juin au Théâtre des Champs-Élysées, avec une autre distribution.