Créé à la fin de la saison dernière, la nouvelle production d’Il Trovatore connait déjà une première série de reprises. Nous ne reviendrons pas sur la mise en scène de David Bösch amplement décrite par notre confrère Yannick Boussaert. On peut en apprécier l’originalité et le côté déjanté, sa noirceur assumée, mais force est de constater qu’elle déclenche souvent des rires dans le public, ce qui n’est pas vraiment ce qu’on attend dans cet ouvrage. Difficile également de croire que l’espèce de cirque ambulant en faillite, qui représente le camp des gitans, puisse être une menace sérieuse pour les séides du Comte de Luna équipés de Kalachnikov et de chars d’assaut (à moins que ce ne soit l’arme du rire, justement). Ceci étant, ces quelques incongruités passent au second plan à la deuxième vision, surtout avec un tel plateau, malgré la quasi absence de direction théâtrale.
Il trovatore, The Royal Opera © 2016 ROH. Photograph by Clive Barda
En Manrico, le vétéran Gregory Kunde force l’admiration. La ligne de chant est souveraine, le phrasé impeccable. La voix du ténor américain ayant encore gagné en largeur, elle lui permet d’offrir un « Ah! si, ben mio » impeccable, avec un magnifique contrôle du souffle. Le « Di quella pira » qui suit est électrique, avec deux magnifiques contre-ut. Le chant est davantage « en force » que dans ces incarnations précédentes, mais reste typiquement belcantiste. Une telle santé fait regretter la quasi absence de variations dans les reprises. Anita Rachvelishvili casse la baraque avec une Azucena hallucinée, mais toujours parfaitement chantante, au volume impressionnant et au timbre chaud, et respectueuse des nuances de la partition. Théâtralement, elle brûle naturellement les planches et on se plaît à l’imaginer encore plus débridée ! Lianna Haroutounian est bien plus sage et évoque les Leonora des années 50 : timbre riche, voix bien projetée, mais sans suraigus (écrits ou non), ni variations, ni sons filés. Il faut également souligner et apprécier son endurance, qui lui fait affronter au début de l’acte III, successivement et sans pause, air, duo et cabalette (un seul couplet) sans fatigue apparente. C’est finalement pour la mort de Leonora que le soprano se montrera sous son meilleur jour. En Luna, Vitaliy Bilyy offre un chant élégant, une belle musicalité, mais avec parfois de legérs défauts d’intonation. Le timbre est riche et les vocalises souples. Dans la belle acoustique naturelle du Royal Opera, la projection est un peu inférieure à celle de ses partenaires. Alexander Tsymbalyuk est un Ferrando particulièrement impressionnant, tant physiquement que vocalement. La projection est insolente, presque … wagnérienne ! Le chant est impeccable et l’ambitus parfait : ni grave, ni aigu ne lui posent de problème ! Seul bémol, un timbre un peu passe-partout. Les comprimari sont, comme souvent ici, tous très corrects et les chœurs n’appellent que des compliments : leur performance est d’autant plus remarquable leur effectif est bien moins élevé que celui de l’Opéra de Paris dans le même ouvrage.
A la tête d’un orchestre du Royal Opera en bonne forme, Richard Farnes offre une direction élégante et vive, manquant parfois un peu de spectaculaire (en ne marquant pas certains points d’orgue par exemple).