On l’écrit à l’envi et on se plaît à entretenir le mythe : monter Il Trovatore exige de satisfaire aux exigences d’une fameuse quadrature du cercle vocale. Paris a récemment fait une proposition, autour de la Leonora superlative d’Anna Netrebko. En ce début d’été, Londres tente l’aventure. Autour de la baguette experte de Gianandrea Noseda, Lianna Haroutounian, Francesco Meli, Zeljko Lucic et Ekaterina Semenchuk défendent leur chance dans la nouvelle production du très demandé David Bösch.
S’il est un opéra de chair et sang c’est bien Trovatore : rarement en deux heures de musique assiste-t-on à autant de rebondissements (invraisemblables raille-t-on bien souvent) dans une écriture musicale à la croisée des chemins entre bel canto et romantisme du second Verdi. Ce dernier style, la distribution du Royal Opera House le possède complètement. Mais l’équation est partiellement résolue car lui fait défaut la dimension belcantiste. Ekaterina Semenchuk, toutes griffes dehors, réitère la forte impression qu’elle laissait à Paris, au prix d’un recours aussi systématique que phénoménal à la voix de poitrine, matinée de couleurs rauques. Couleurs qui manquent cruellement au Luna au chant monocorde et uniformément forte de Zeljko Lucic. Le baryton ne propose guère que son volume et sa vaillance en guise de caractérisation. Francesco Meli, qui fréquente Manrico depuis quelques temps déjà, reçoit les gages d’une voix qui a gagné en largeur et en puissance, comme en témoignait son récent Cavadarossi à Gènes. Rigoureux comme toujours, le ténor maintient l’intégrité de la ligne et l’attention au style. Revers de la médaille, un vibrato entache certaines phrases et la ductilité fait parfois défaut. La mezza-voce est trop parcimonieuse et peu assurée, si bien que l’émotion peine à surgir de « ah si, ben mio ». Lianna Haroutounian rencontre peu ou prou les mêmes limites en terme de nuances qu’elle compense par une grande intelligence musicale. Le chant est beau, chaud et rond sur toute la tessiture. L’endurance certaine lui permet de convaincre tout à fait dans le quatrième acte qu’elle traverse avec vaillance, mais sans pyrotechnie ou sons filés, avant de se consumer dans une mort émouvante. Les chœurs bien préparés du Royal Opera House rendent davantage justice à leurs partie que les comprimari.
© Clive Barda
Sur scène, David Bösch a cette signature visuelle qui désormais l’identifie dès le lever de rideau. Son univers, pour personnel qu’il soit, prend son inspiration chez Tim Burton auquel il empreinte les teintes crépusculaires, et un bric à brac d’objets, de véhicules en tout genre et de toutes formes, ici une roulotte presque enfantine décorée de poupées de bébés pour la Bohémienne et un étrange coupé que l’on tracte. Avec Patrick Bannwart, il fait le choix d’illustrer les scènes au moyens de vidéos dessinées dans un style à la Enki Bilal où se côtoient le pire et le meilleur. Soit elles renforcent les belles lumières et ambiances du spectacle soit elles appuient des poncifs : corbeau pour la mort qui rôde, papillons pour les ailes de l’amour… quand elles ne figurent pas des personnages hideux sensés représentés les héros de l’histoire. Peut-être eût-il mieux valu se concentrer sur la direction d’acteur trop traditionnelle pour faire émerger des personnages mus par des passions crédibles.
Ce qui manque le plus à ce Trovatore, ce soupçon de subtilité be-cantiste, on le trouve finalement dans un orchestre mené avec brio par Gianandrea Noseda. Les tempi sont vifs, la battue précise et dirigée vers la scène ce qui lui permet d’emmener l’ensemble des acteurs à bon port. D’autant qu’il n’hésite pas à ponctuer le discours musical de ralentis ou de nuances variées au service de l’esprit de la partition.