La Fiorilla d’Olga Peretyatko à Aix-en-Provence l’été dernier nous avait déçu. Peut-être parce que nous en attendions trop. Sans doute parce que nous savions qu’elle pouvait faire mieux. Intermittents en colère, surmenage inhérent à la préparation du concert du 14 juillet à Paris avaient eu raison sinon de la présence scénique, du moins de la forme vocale d’une des sopranos les plus excitantes du moment (qui, soit dit en passant, sera en concert aux côtés de Dmitry Korchak à Paris le 11 décembre prochain*). Nous la retrouvons dans le même rôle à Munich quatre mois plus tard, régénérée, vitaminée, telle que nous l’espérions : la projection rétablie, le trait affuté. La silhouette conjuguée à l’aisance scénique rend cette Fiorilla coquette, futile, capricieuse, séduisante et fragile aussi. Cette dernière caractéristique s’avère indispensable pour sortir le personnage des stéréotypes dans lesquels il pourrait s’abimer. Le chant se place au diapason, libéré, audacieux dans ses variations, stylistiquement irréprochable. Jamais les nombreuses variations dans l’aigu ne tirent Fiorilla vers Olympia. Notes piquées, trilles, messa di voce ne sont envisagés qu’en fonction de l’expression. Que la mise en scène fasse en plus effort de réflexion et la soirée devient mémorable.
Christof Loy réussit là où beaucoup échouent. On ne redira jamais assez combien la mécanique rossinienne est fragile. Il suffit que les gags soient trop appuyés pour que le spectacle entier tourne à vide. Ici, on rit souvent mais sans que l’attention ne soit détournée de l’essentiel. Tout vient à point le moment venu avec suffisamment d’imagination pour surprendre et assez d’intelligence pour ne pas s’appesantir. Les costumes sont nombreux. Un système de cloisons coulissantes renouvelle le décor. Les tableaux s’enchaînent à vue sans que la tension retombe. Pour ne pas être allé au bout de leurs fantasmes, les héros sombreront dans un conformisme ennuyeux et bourgeois. Tout cela est d’autant plus vrai que les chanteurs ont l’exact physique de leur rôle. Le rêve ? Presque.
Dans l’ouverture, la baguette de Paolo Arrivabeni est de plomb. Rossini n’est pas le pain quotidien du Bayerisches Staatsorchester. Cela s’entend. Le chœur, comme l’orchestre, a le pas lourd. Puis peu à peu, une dynamique s’installe : fosse et plateau pétillent de concert. La version choisie de l’œuvre est la plus intégrale possible en tenant compte des limites de chacun. Albazar perd son aria di sorbetto – Petr Nekoranec n’aurait pas eu la puissance suffisante pour le faire entendre – mais les deux airs de Don Narciso sont rétablis. Tant mieux ! Le timbre d’Antonino Siragusa n’est pas le plus élégant qui soit. L’aigu passe en force, percute, dure plus longtemps que ne l’exigerait la décence. Le ténor est cabotin mais sympathique. L’agilité est imparable et surtout, ce personnage secondaire, dont la présence peut parfois sembler une aberration dramaturgique, existe comme rarement. Don Geronio récupère également sa scène du second acte, souvent coupée car d’une authenticité contestable. Renato Girolami maitrise suffisamment le chant syllabique pour donner l’impression qu’il s’agit là d’un simple exercice de santé. Auparavant le duo avec Selim a montré que la basse bouffe savait être héroïque, ne concédant rien à son partenaire, ni dans les fioritures, ni dans l’autorité. Avec Alex Esposito en turc, le match se place d’emblée au sommet. Comme ses partenaires, le rôle semblé avoir été pensé à l’exacte mesure du physique et de la voix. Volume, étendue, virtuosité : Selim ici n’a rien à envier à Fiorilla. Privé d’air, cantonné souvent au récitatif, Nikolay Borchev reste celui par qui l’opéra arrive. Prosdocimo est-il acteur ou spectateur ? L’ambiguïté subsiste. La modernité de l’œuvre repose sur cette seule question. Zaida enfin est personnage trop secondaire pour que le mezzo-soprano trémulant de Marzia Marzo ne vienne tempérer un enthousiasme dont témoignent au tomber de rideau les nombreux rappels.
* Olga Peretyatko (soprano), Dmitry Korchak (ténor). Théâtre des Champs-Élysées, jeudi 11 décembre 2014, 20h (plus d’informations)