Le spectacle annuel réunissant les élèves du Département des disciplines vocales du CNSMDP est toujours l’occasion de découvrir quelques-uns des artistes qui feront parler d’eux dans les saisons à venir, diamants dont la taille, entreprise par leurs professeurs, s’achèvera sur d’autres scènes. Parmi les trésors ainsi révélés lors des précédentes éditions figurent Magali Arnault-Stanczak, Sandrine Buendia ou Enguerrand de Hys, pour ne citer que quelques noms. Cette fois, ce ne sont pas seulement des voix que ce spectacle met au jour, puisque l’œuvre même relève de la quasi-création. En mai 1995, l’Opéra de Lyon avait en effet présenté Schliemann, opéra de Betsy Jolas, que la presse française avait assez mal accueilli, le jugeant notamment trop long. Néanmoins convaincue des qualités d’une partition restée ensuite enfouie dans le silence, la compositrice a remis son ouvrage sur le métier pour en livrer, plus de vingt ans après, une toute nouvelle version, commandée par Radio France. Des 165 minutes que durait Schliemann, on est passé à 105 pour Iliade l’amour, les quinze scènes en trois actes ont été ramenés à dix tableaux, et le grand orchestre a cédé la place à un ensemble de seize instrumentistes. Le livret a bien sûr été remanié, à la fois abrégé et complété par une ultime scène évoquant la redécouverte du Trésor de Troie en 1991 à Moscou. Iliade l’amour s’ouvre sur la mort de l’archéologue, dont la fille Andromaque prend la parole en tant que narratrice des événements, principalement le mariage de Schliemann avec une jeune Athénienne. Si l’on est d’abord surpris par le procédé, qui met à distance celui qui devrait être le héros, les choses s’animent dès lors que l’Allemand prend son destin en mains. Pour son spectacle, Antoine Gindt n’a pas cherché la reconstitution historique : si les robes de deuil que portent madame et mademoiselle Schliemann correspondent vaguement à l’année 1890, le reste des costumes situe plutôt l’action quelque part au XXe siècle et, avec ses bastingages, le décor auquel les personnages accèdent par les dessous renvoie à un navire, ou surtout à un espace indéterminé qui évolue au gré de l’action, espace de jeu qui se modifie par le lever ou le baisser de rideaux, le déplacement de panneaux, etc. Cependant, la souplesse ainsi gagnée pour passer d’un lieu à l’autre est curieusement contrecarrée par les moments de silence voulus par le metteur en scène, au tout début du spectacle d’abord, puis pour le cours de gymnastique des jeunes filles parmi lesquelles Schliemann vient choisir sa future épouse.
© Ferrante Ferranti
Dirigés avec rigueur par David Reiland, chef applaudi à Saint-Etienne ou ici-même dans un répertoire plus classique, les seize élèves de l’Orchestre du Conservatoire de Paris mettent en relief la finesse du tissu instrumental élaboré parBetsy Jolas, qui s’autorise tous sortes de jeux rythmiques et sonores, convoquant même un accordéon pour un moment de bal populaire. Forte de son expérience de professeur d’analyse musicale et de composition, la compositrice écrit pour les voix sans jamais les brutaliser et sans craindre de recourir parfois à leur virtuosité. Si le baryton Julien Clément semble assez épargné par le rôle de Schliemann, qui n’appelle pas de prouesses vocales, la perle rare de la distribution est sans doute la soprano belge Marianne Croux, qui bénéficie des pages les plus lyriques de la partition, au service desquelles elle met une voix superbe, à la fois large et agile, et une diction précise : voilà une artiste sur qui on serait prêt à parier beaucoup pour les années à venir. Présente à l’avant-scène en tant que récitante, la mezzo Anaïs Bertrand est appelée à s’exprimer dans un tout autre registre, mais on se laisse séduire par son timbre. Gâtée en 2014 avec le personnage de Farnace dans Mitridate, dans lequel elle avait fait forte impression, Eva Zaïcik n’a cette fois qu’un petit rôle. Impossible de passer sous silence le formidable talent comique du ténor Fabien Hyon, dont la verve scénique se déploie sans que son chant en pâtisse le moins du monde : voilà un autre nom à retenir. Leurs partenaires ont moins d’occasion de s’imposer, mais assurent tout aussi dignement leur mission dans cette création-exhumation : espérons maintenant qu’Iliade l’amour ne connaîtra pas le même sort que les bijoux exhumés par Schliemann, disparus de leur musée berlinois pendant la Deuxième Guerre mondiale pour ne reparaître qu’un demi-siècle plus tard.