Après une série d’Aïda à Londres et avant de se rendre à Vienne pour y interpréter Faust à partir du 16 avril, Roberto Alagna a fait une halte à Paris le temps d’un récital en compagnie du pianiste Lang Lang, en résidence Salle Pleyel pendant une semaine.
Pour l’occasion, les deux artistes ont concocté un programme qui juxtapose des extraits musicaux de leurs répertoires respectifs : Chopin, Rachmaninov et Schumann pour Lang Lang et, pour Roberto Alagna, des airs d’opéras français qui offrent au pianiste chinois l’occasion de jouer les accompagnateurs, rôle qu’il assume avec brio. Le style de chaque compositeur est respecté de même que les affects des différents personnages, comme en témoigne, par exemple, la longue introduction de l’air de Polyeucte dans laquelle Lang Lang excelle à créer le climat sombre et lugubre tout à fait approprié à cette scène de déploration.
Ses interventions comme soliste sont tout aussi pertinentes, on a apprécié notamment la fluidité de l’Étude opus 25 n°1 de Chopin et l’infinie délicatesse de son toucher dans le célèbre Träumerei de Schumann.
Pour son air d’entrée, Roberto Alagna a choisi de frapper fort en proposant un extrait du Postillon de Longjumeau qui culmine au contre-ré. Il faut un certain aplomb pour chanter « à froid » une page aussi exigeante et le ténor s’en tire avec les honneurs. La voix sonne superbement, le legato est impeccable et la mélodie subtilement nuancée jusqu’aux suraigus parfaitement contrôlés, émis en voix de tête comme le faisaient les ténors avant Duprez1.
Le reste de son programme est constitué de pages qu’il avait pour la plupart enregistrées voici une dizaine d’années sous la direction de Bertrand de Billy2, une sorte de retour aux sources, en somme. Le ténor français y fait montre d’une belle santé vocale et la perfection légendaire de sa diction y fait merveille. L’extrait du Roi d’Ys est interprété avec une émotion contenue et celui de Sigurd avec toute la vaillance requise.
On peut imaginer que deux artistes comme Roberto Alagna et Lang Lang dont le calendrier est bien rempli, n’ont pas disposé d’un temps infini pour préparer cet unique concert, comptant sur leur professionnalisme pour pallier cette carence. De fait, seuls quelques décalages en fin de première partie, dans « Pays merveilleux », extrait de L’Africaine, pouvaient trahir ce manque de répétitions que confirme le recours systématique à la partition auquel Alagna ne nous avait pas habitués. Mais ces réserves ne sont que vétilles au regard de la haute tenue musicale de la soirée.
Après l’entracte, l’extrait de L’attaque du Moulin permet au ténor d’afficher des couleurs sombres qui contrastent avec l’émission plus claire qu’il adopte pour l’air de Vincent. A la fin de cet air, Roberto Alagna, sujet à une crise d’allergie saisonnière, s’excuse de devoir quitter momentanément la scène. Lang Lang meuble avec un prélude de Rachmaninov et Roberto conclut le programme avec l’air de Polyeucte dont il livre une interprétation d’une grande intensité dramatique, couronnée par un superbe aigu forte.
Après le premier bis, le ténor s’excuse à nouveau, cette fois parce qu’il doit s’en aller précipitamment afin de participer à une émission de télévision en faveur du Sidaction et c’est avec un tango de Carlos Gardel en guise de clin d’œil, que s’achève ce récital, somme toute passionnant tant par l’originalité du programme que par ses qualités artistiques, en dépit des menus incidents de parcours qui l’ont émaillé.
1 Gilbert Duprez est le premier ténor à avoir émis un contre-ut en voix de poitrine, au cours d’une représentation de Guillaume Tell en 1836.
2 Un CD intitulé « Airs d’opéras français » paru en 2001 chez EMI, disponible aujourd’hui chez DGG.