C’était il y a quatre ans. Lors de l’enregistrement en public des Troyens à Strasbourg, Stanislas de Barbeyrac chantait Hylas. Au 5e acte, alors qu’un silence élogieux accueillait les dernières mesures de « Vallon sonore », cette chanson rêveuse que Berlioz qualifiait de « morceau de caractère », une voix dans la salle chuchotait à l’oreille de son voisin : « voilà le futur Enée ». Le temps a passé ; le monde a changé, contraint de s’adapter à des consignes sanitaires sévères et d’envisager de nouvelles formes de concert dans des théâtres vides. Mais la prédiction est en train de se réaliser. Glissé entre deux questions durant le live Instagram conclusif de l’Instant Lyrique diffusé ce lundi 15 mars sur France Musique, « Nuit d’ivresse », le duo entre Didon et Enée, se présente comme la cerise sur le gâteau de la soirée.
Autres promesses répandues lors de ce récital enregistré deux semaines auparavant Salle Gaveau : Werther et Don José, le second plus imminent que le premier car si la pandémie consent à s’essouffler, Stanislas de Barbeyrac devrait aborder le rôle en juin prochain à Bordeaux. Cela s’entend à travers une interprétation plus aboutie, un air de la fleur riche d’effets, ingéré et assimilé. Là, le personnage se dessine avec une netteté supérieure, ni pitoyable ni sanguin comme souvent, mais fragile, blessé dans son orgueil, sa sincérité et la lumière d’un timbre cati aux opéras de Mozart.
Avec un regard ému vers hier, c’est Tamino d’ailleurs qui ouvre le tour de chant et, en dépit de l’échauffement nécessaire et de la température décourageante d’une salle privée de public, la magie opère encore. Werther surviendra plus tard, n’en doutons pas, une fois les pièges tendus par la partition déjoués, le médium toujours solide mais l’aigu libéré pour que prennent vie les souffrances suicidaires du lecteur d’Ossian. On s’avoue moins convaincu par les deux Offenbach. Trop d’élégance non exempte de raideur empêche de croire ce Pâris affolé par le rêve d’amour et, dans La Périchole, la mule semble moins bourrique que noble destrier.
© Edouard Brane
Lauréate de plusieurs concours, révélation Classique de l’Adami 2017, Ambroisine Bré à l’exemple de la belle Hélène a déjà fait quelque bruit dans le monde lyrique. Comme Stanislas de Barbeyrac, Mozart a servi de rampe de lancement à sa jeune carrière mais au contraire du ténor, il est sans doute encore tôt pour tourner la page et passer à la vitesse supérieure en envisageant sur scène les rôles plus dramatiques de Carmen ou de Charlotte. La formule de l’Instant Lyrique autorise cependant ce genre d’audace et son mezzo-soprano possède une légèreté qui sied à un air des larmes désarmant de tendresse. Rossini abordé à travers le rondo final de Cenerentola demandera d’approfondir technique et connaissance des codes belcantistes si Ambroisine Bré veut s’engager dans un répertoire qu’une agilité naturelle encourage. Dans Offenbach, le chant pétille. Affaire de goût, on apprécie cependant davantage de densité – de chair, de corps, voire de capiton – dans les rôles écrits à l’intention d’Hortense Schneider. Rubens avant Watteau en quelque sorte. Mais que de grâce en début de récital dans les quatre Písně milostné composées par Dvořák en 1888, que de promesses…
Que de promesses, et que de grâce aussi dans le jeu de Qiaochu Li, découverte il y a un ou deux ans lors d’un Instant Lyrique où elle avait remplacé en milieu de récital Antoine Palloc souffrant. Avec ses longs bras suspendus au clavier comme deux acrobates au fil de son torse, la jeune pianiste ne se satisfait pas d’accompagner les chanteurs, elle anime aussi le récit lorsque nécessaire – le duo final de Carmen – d’une force épique dont la vigueur surprend après tant de délicatesse.