Des yeux, que Marc Lavoine dirait révolver ; un regard, bleu comme les mers du Nord ; un sourire, radieux lorsqu’après chaque page interprétée la tension se relâche ; et plus encore, une voix… Voilà Marina Rebeka de retour à Paris, qui ne l’a pas applaudie si souvent – Errare Parisianum est. Deuxième Instant lyrique de la soprano lettone, Salle Gaveau cette fois, mieux adaptée à sa puissance de tir que l’espace contraint d’Elephant Paname.
La mélodie, italienne et russe, est au programme mais le chant de Marina Rebeka, s’il sait se discipliner pour épouser les contours intimes du genre, a par nature le geste ample et le verbe prodigue. Difficile de résister à l’appel de la scène. Leonora du Trouvère, Traviata en ses appartements affleurent derrière les deux mélodies de Verdi : In solitaria stanza et Brindisi. Un premier climax est atteint avec Respighi où la chanteuse, telle une magicienne, parcourt l’arc-en-ciel des sentiments sur un destrier de glace et de flamme. Walkyrie belcantiste à la lance acérée, dont on sent derrière chaque phase l’intention et, bien qu’invisible, la technique suffisamment maîtrisée pour varier les effets et doser les nuances. Nebbie, dans l’urgence de ses passions dominées jusqu’en leurs éclats, semble emprunté à un opéra de Puccini : Butterfly, Suor Angelica… L’oreille se trouble, on ne sait plus. Notte à l’inverse se transmute en une berceuse pensive, murmurée que le public, ému, applaudit à tout rompre au mépris de la règle requérant le silence entre chaque pièce d’un même compositeur pour ne pas déconcentrer les artistes.
Le répertoire russe est ciselé dans le même cristal : une pierre aiguisée, tranchante, un diamant pur dont Marina Rebeka se plait à polir les multiples facettes, tantôt douloureuses, tantôt exaltées. L’applaudimètre s’affole tandis que le piano éclate en sanglots. Présenté comme le partenaire privilégié de Michael Spyres – mais pas seulement –, Mathieu Pordoy se plie à tous les caprices de pages cyclothymiques : tendre et rêveur le temps d’un Notturno de Respighi à peine effleuré ; fiévreux voire pindarique lorsque les longues codas de Rachmaninov invitent au débordement.
Avantage d’un programme que l’on aurait tort de penser ardu sous prétexte qu’il ne comporte pas d’extraits d’opéras : la confrontation avec des partitions que l’on avoue ne pas fréquenter assidûment – aimez-vous Cui ? Inconvénient : la difficulté de conquérir un public avec des titres peu familiers. A d’autres ! L’art de Marina Rebeka est suffisamment éloquent pour refuser la facilité de tubes prompts à chauffer la salle. Le récital prendrait fin avec la dernière mélodie de Rachmaninov, que l’on serait déjà comblé.
Mais la soirée n’est pas terminée. Quatre bis, rien de moins, viennent lever le public de son siège. Butterfly, Ernani, La Wally, I vespri siciliani poignardés en plein cœur avec une aisance qui laisse pantois, une justesse d’expression irréprochable, des attaques imparables et des figures glissées çà et là comme une attestation de vaccination rossinienne – la soprano a fait ses classes à Pesaro. Écoutez ces roulades, ce trille et ces notes piquées dans le boléro des Vêpres. Mortel, diraient les djeuns. Marina Rebeka a la voix fatale, elle a les aigus qui tuent.
Dans l’enthousiasme d’une salle debout, s’achève la saison 2020-21 de l’INSTANT LYRIQUE. Reprise des festivités le 27 septembre, avec Barbara Hannigan et les jeunes artistes du programme Equilibrium. Marina Rebeka chantera Lucrezia dans I due Foscari au Festival d’Aix-en-Provence le 16 juillet prochain. Rendez-vous est déjà pris.