Dans une salle archicomble et devant un public composé majoritairement de touristes, la production bien rodée de Günther Rennert du Barbier de Séville est donnée une nouvelle fois depuis 1966 sur la scène du mythique Staatsoper de Vienne. On frise les 400 représentations ; rien d’exceptionnel dans ce théâtre de répertoire, mais le spectateur français ne peut s’empêcher de rester songeur devant une telle longévité… La mise en scène est classique et immédiatement familière : on sent qu’elle a été régulièrement clonée, tout en s’inscrivant elle-même dans la continuité du XIXe siècle. Les costumes, en particulier, évoquent les gravures romantiques. Le dispositif scénique est simple et efficace : la façade d’une maison de poupées sur trois étages et autant de travées aux persiennes coulissantes avec escalier central à vis, le tout pleinement exploité par les déambulations des protagonistes. Les coloris pastels évoquent l’Espagne d’un Goya d’avant la surdité, avec des éclats de couleurs vives, comme le rouge éclatant de la résille de Figaro, qui achèvent d’harmoniser l’ensemble. On peut reprocher ici et là quelques approximations au niveau des lumières, notamment le visage de Rosine éclairé à moitié pendant tout son grand air. Il s’agit d’un des rares défauts notables de ce spectacle très agréable, rondement mené et drôle.
C’est d’ailleurs la qualité principale de la soirée : la plupart des interprètes sont d’excellents comédiens qui permettent à la farce, que d’aucuns rendent grotesque, de rester naturelle et complice du spectateur. Si Figaro, interprété par un Tae Joong Yang survitaminé, est à cet égard tout à fait dans le ton, la voix pourtant belle et expressive du Coréen a du mal à passer l’orchestre. Dommage, vraiment, car la prononciation est convenable, la gestuelle parfaite. Il suffirait d’un peu plus de puissance pour emporter l’enthousiasme… Alexey Kudrya est un Almaviva visuellement craquant : beau et fringuant, superbe en un mot. Mais là encore, l’adéquation avec le physique du rôle l’a sans doute emporté sur la valeur du chant. Les aigus sont un peu courts, les sons parfois nasillards. Sa prestation se fait néanmoins de plus en plus convaincante au fur et à mesure que la soirée avance. Anna Bonitatibus nous propose une Rosine plus nuancée qu’imaginative. La colorature, assez agile, fait d’autant plus regretter l’absence de variations1. Dans ces conditions, Caroline Wenborne, dans le rôle pourtant mineur de Berta, lui vole la vedette. Le timbre est beau, la voix puissante, la technique éprouvée et le personnage extrêmement drôle. Lars Woldt est un Bartolo inénarrable et sonore. C’est aussi la puissance que l’on retient du Basilio de Janusz Monarcha, plus que la diction parfois un peu approximative.
L’orchestre est, quant à lui, énergiquement dirigé par Jean-Christophe Spinosi très à l’aise avec la vivacité rossinienne, en dépit de quelques décalages et, parfois, d’un volume sonore l’emportant sur les voix, y compris le sextuor. En dépit de ces quelques critiques émanant peut-être d’une trop grande exigence eu égard au prestige du lieu, le spectacle est de belle tenue et le plaisir qu’on en retire, évident.
1. Voir la critique par Christophe Rizoud de son récent disque Ariette e canzoni de Rossini