Unanimement saluée lors de sa création au Teatro Real de Madrid en 2012 – disponible en DVD – et lors du festival d’Aix-en-Provence en 2015, la production de Iolanta de Tchaïkovski associée à Perséphone de Stravinsky, dans la mise en scène de Peter Sellars, suscite une fois de plus l’enthousiasme du public lors de sa représentation à Lyon.
La direction magistrale du chef britannique Martyn Brabbins à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon fait entendre toutes les nuances de la partition de Tchaïkovski, depuis la douceur du quatuor à cordes debout sur scène au début jusqu’aux accents les plus éclatants de la partition. On retrouve les interprètes qui avaient fait le succès de ce spectacle à Aix, depuis les Chœurs de l’Opéra de Lyon, remarquables, auxquels s’adjoignent les enfants de la Maîtrise, jusqu’aux excellents Dmitry Ulyanov en Roi de Provence à la basse profonde et généreuse, Sir Willard White en Ibn-Hakia d’une présence vocale et d’une souplesse physique confondantes, Maxim Aniskin en Robert convaincant et Arnold Rutkowski en Vaudémont subtil et émouvant. D’emblée, la grâce et la poésie de Diane Montague (Diana), Maria Bochmanova (Brigitta) et Karina Demurova (Laura) font merveille, nous introduisant dans la dimension nostalgique et féérique de cet apologue qui sait rester une histoire simple et belle, à l’image d’Ekaterina Scherbachenko, frémissante de vie et d’amour dans sa robe bleue qui contraste avec les vêtements noirs de ses compagnes. La soprano russe fait preuve d’un naturel et d’une aisance vocale qui rendent son personnage immédiatement proche et contemporain.
La qualité des chanteurs est en parfaite osmose avec la sobriété des costumes de Martin Pakledinaz octroyant à celle qui est privée de la vue le don d’attirer la lumière. James F. Ingalls distille avec virtuosité des jeux de lumière animant et modifiant en permanence les perspectives du décor impressionnant de George Tsypin, fait de portiques évoquant des cadres, des passages d’un monde à l’autre, et le mystère de l’existence symbolisé par des sculptures renvoyant aux règnes végétal, animal et minéral. De cet apparent dépouillement naît la conscience de la complexité des êtres et des choses, que Peter Sellars excelle à suggérer par sa direction d’acteurs et sa gestuelle chorégraphiée.
La beauté de la musique, la plénitude du chant, la richesse du spectacle font que les deux heures de cet opéra – dans lequel Peter Sellars a inséré, avant le dernier tableau, le Chant des Chérubins extrait de la Liturgie de Saint-Jean Chrysostome de Tchaïkovski, moment de suspension du temps – suffisent largement à remplir une soirée, tant la charge émotive est grande.
Le choix d’associer à cette œuvre, en seconde partie du spectacle, le mélodrame de Stravinsky sur un texte d’André Gide relève d’un projet permettant de donner à voir une autre quête, comme inverse de la première. Si Iolanta s’achemine vers la lumière, découvrant le sens de la vue, Perséphone, dans les vers de Gide, se penche vers l’obscurité, voyant dans les Enfers la détresse d’un « peuple sans espérance ». Le geste est beau, la proposition novatrice. Et pourtant, passés les premiers moments d’émerveillement que procurent la voix mélodieuse et la diction parfaite du ténor Paul Groves en Eumolpe, tout autant que l’expressivité dramatique de Pauline Chevallier incarnant une Perséphone émouvante et simple comme l’était Iolanta (mais quel dommage que sa voix soit sonorisée), le temps suspendu, en écho au Chant des Chérubins, finit par paraître long, malgré les mérites des danseurs cambodgiens de l’Amrita Performing Arts. Paradoxe d’un succès : en soulignant les parentés entre deux œuvres a priori dissemblables, Peter Sellars réussit tellement bien qu’il finit par donner le sentiment d’une redondance, ou du moins d’une prolongation sans fin de la conclusion du premier opéra. Ce qui est aussi une manière de donner la mesure de la durée, comme représentation de l’éternité.