A la tête du London Symphony Orchestra, Simon Rattle livre en ce début une lecture à la luxuriance suffocante de Jenůfa, en version de concert au Barbican Center de Londres. Troisième œuvre de Janáček à être défendue in loco (après La petite renarde rusée en 2019 et Katya Kabanova l’an passé), ces soirées londoniennes bénéficient d’une distribution excellente (malgré la défection d’Asmik Grigorian dans le rôle-titre).
Simon Rattle et le LSO prouvent une fois de plus leurs affinités avec la musique tchèque du début du 20e siècle : chaleur des tons, précision rythmique, justesse et mordant de certaines attaques… tous les ingrédients constitutifs de la musique de Janáček sont présents. L’émérite directeur musical puise à foison dans l’étoffe noble et généreuse de l’orchestre, fouette les tempi au besoin, s’attarde par endroit pour approfondir les tableaux et les ambiances. Il peut pour ce faire compter sur des solistes de premier ordre, premier violon en tête. Surtout, et contrairement à des périodes plus maniéristes dans l’esthétique qu’il défendait, Simon Rattle ne se perd jamais dans une démonstration d’opulence sonore. Bien au contraire, il concentre les qualités de son orchestre dans une lecture tendue, à peine en concurrence avec le plateau vocal, au service d’une lecture qui, pour « belle » qu’elle soit, s’avère avant tout dramatique et pathétique.
La distribution fait des merveilles et mérite très certainement de figurer sur la gravure qui devrait suivre ces concerts. Les chœurs tout d’abord jouissent d’une préparation irréprochable et apportent d’emblée les couleurs folkloriques voulues pour leurs scènes. Hanna Hipp (la femme du maire), Evelin Novak (Karolka), Claire Barnett-Jones (Barena) et Erika Baikof (Jano) ne font qu’une bouchée de leurs courtes interventions. Jan Martinik dispose de la profondeur de timbre et du volume nécessaires pour dépeindre un Starek autoritaire ou un maire à la bonhommie joyeuse. Nicky Spence incarne crânement le jeune notable inconséquent du village, Steva, avec une vigueur vocale bienvenue. Le Laca d’Ales Briscein revient année après année avec la même constance et la même justesse. Carole Wilson possède ce grain de timbre un rien aigre qui épouse d’emblée l’image sonore que l’on se fait de la grand-mère Buryjovka. Enfin, Agneta Eichenholz remplace avantageusement la vedette initialement programmée dans le rôle-titre. La beauté du timbre sied parfaitement au personnage doux qu’elle choisit d’interpréter. Sa Jenůfa se laisse chahuter par son destin, s’épanche avec beaucoup de justesse et d’émotion dans ses monologues, avant d’irradier dans la scène finale, enfin délivrée d’un destin impossible. Katarina Karneus remporte de manière méritée le plus grand succès de la soirée. Si quelques scories émaille le chant, on reste pantois devant l’autorité qui se dégage de ce timbre mat et surtout de la justesse des accents de la chanteuse, qui culminent dans un deuxième acte halluciné.