La condition sine qua non d’un Janáček réussi, c’est avant tout l’orchestre. Carton plein pour Michael Güttler et les forces de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège qui pourtant n’ont guère fréquenté cet univers opératique ces dernières saisons. La préparation de chaque pupitre donne à entendre l’essentiel : couleurs et timbres consubstantiels ce répertoire, homogénéité et profondeur du son ensuite, netteté des attaques enfin. Voilà qui augure du meilleur pour une phalange qui se prépare à affronter Tristan und Isolde en début d’année prochaine. Le chef allemand épouse la langue de Janáček avec évidence : il en souligne tant la prosodie si particulière que le romantisme sous-jacent. Il s’offre des contrastes très marqués, du fortissimo aux sons confidentiels, tout en ménageant son plateau à chaque instant.
Un plateau qui fait montre d’un réel engagement tant scénique que vocal. Les petits rôles se font tous remarquer par leur personnalité, telle Anne-Lise Polchlopek dont la Glasa sonore et chaleureuse se détache dans ses quelques répliques. Daniel Miroslav procède de même avec le personnage de Kuligin, ombre inquiétante servie par un timbre sombre. Dmitry Cheblykov (Dikoj) croque un notable hargneux grâce à une excellente projection et un certain charisme scénique. Des qualités que partagent Alexey Dolgov (Vana) et Magnus Vigilius (Tichon) deux ténors aux voix bien distinctes. Le premier peut compter sur une couleur « de caractère » et un timbre un peu nasal pour donner vie et légèreté au seul personnage masculin un peu sympathique de l’œuvre, quand le second adoucit sa voix d’heldentenor pour incarner un Tichon veule et amoureux. Anton Rositskiy se situe entre les deux : voix puissance et timbre au métal clair, il survole les difficultés du rôle. Le trio féminin principal s’avère tout aussi convaincant. Nino Surguladze (Kabanicha) se promène en bourgeoise hautaine sur scène et déploie une voix riche, capiteuse, qu’elle plie dans les accents de la marâtre avec aisance. Jana Kurucová offre son parfait pendant : voix claire et fruitée, elle incarne d’emblée la jeune sœur et sa force de vie. Anush Hovhannisyan monte crescendo pendant toute la représentation. Si son timbre manque peut-être de séduction immédiate pour coller au portrait de Katia, sa science des mots et des nuances – jusqu’au sons filés – la rendre tout à fait crédible et émouvante en héroïne sacrifiée.
Défaite des femmes supplémentaire, Katia Kabanova, créé il y a un peu plus d’un siècle, n’a pour ainsi dire pas pris une ride. Cette histoire de femme dans une périphérie géographique, écrasée par le groupe et les convenances semblent faire la une de nos rubriques faits-divers sans discontinuer. Aurore Fattier et son équipe opte donc pour un ultra-réalisme sans concession. Tout juste quelques costumes et des smartphones trahissent l’actualisation. Les téléphones épient d’ailleurs sans cesse et donnent à voir les visages et les rictus coupables que les personnages traquent sans cesse chez l’autre. Manière de dire, en plus de narrer l’opéra de Janáček, que si Katia devient la première victime, c’est bien toute la société, notre société, qui est fliquée tant par la technologie que par nos usages.