Marraine de la saison de l’Opéra de Tours, Karine Deshayes a proposé sur la scène du Grand Théâtre un magnifique récital dont le programme, remarquablement construit, alterne musique française et italienne à travers des œuvres qui s’échelonnent sur la presque totalité du dix-neuvième siècle.
Ce sont trois mélodies de Duparc qui ouvrent la première partie du concert : « L’invitation au voyage » met en valeur le timbre lumineux de la cantatrice, sa capacité à nuancer sa ligne de chant, l’ampleur de son registre aigu qui s’épanouit sur les mots « dans une chaude lumière » et surtout son aptitude à faire jaillir l’émotion présente également dans les deux autres mélodies, en particulier « Phidylé », au cours de laquelle la voix semble caresser les mots. Suivent deux opus de Gounod, « L’absent », chanté sur le ton de la confidence, dont les vers, signés par le compositeur, semblent couler comme une source limpide et « Le Soir » où le timbre se pare de nuances claires-obscures. Cette partie dédiée à la musique française s’achève avec deux pages d’opéra, la « Méditation » de Thaïs dans un arrangement pour piano seul, confiée au toucher délicat d’Antoine Palloc, précédée de l’air de Balkis, extrait de La Reine de Saba, rôle dont Karine Deshayes a donné une version de concert mémorable à l’Opéra de Marseille à l’automne 2019. La mezzo-soprano aborde cette cavatine avec autorité (« Plus grand dans son obscurité ») puis laisse sa mélancolie s’épancher (« Résigne-toi mon cœur, oublie ») avant de donner libre cours à son exaltation qui culmine sur la phrase « Et l’amour envahit mon âme » lancée avec une voix pleine et triomphante.
La partie italienne est tout entière dédiée au bel-canto par l’intermédiaire de ses trois plus illustres représentants, Donizetti, Bellini et Rossini. Ce dernier tient une place prépondérante dans le répertoire de la cantatrice, avec notamment le rôle de Rosine qui a jalonné sa carrière depuis ses débuts. Karine Deshayes nous propose trois mélodies aux affects contrastés, d’où se détache la « Canzonetta spagnuola » et son redoutable accelerando mené de main de maître par son accompagnateur. Dans cette page, la chanteuse se montre espiègle et mutine tout en exhibant une parfaite maîtrise de la grammaire belcantiste. Un andante au piano accorde à la voix quelques instants de repos dans cette soirée sans entracte, avant les trois grandes scènes d’opéras qui concluent le programme. En premier lieu, l’air de Sara extrait de Roberto Devereux, interprété avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse, nous fait regretter qu’elle n’ait pas pu incarner ce personnage au Théâtre des Champs-Elysées en mars 2020 pour cause de confinement. En revanche, son Roméo bellinien à Marseille en 2017 avait fait grand bruit, ce que confirme la grande scène de l’acte un dans laquelle la mezzo-soprano dévoile un registre grave sonore au cours de la cavatine et une belle agilité dans les vocalises qui parsèment la cabalette. C’est avec Rossini que s’achève le programme dans un véritable feu d’artifice vocal avec l’air d’entrée d’Elisabetta regina d’Inghilterra, un rôle dans lequel Karine Deshayes a triomphé l’été dernier au festival de Pesaro. Après avoir dit son émotion de se retrouver sur la scène du Grand Théâtre, Karine Deshaye nous offre deux bis, « A Chloris » de Reynaldo Hahn, tout empreint de nostalgie rêveuse et « Les Filles de Cadix » de Léo Delibes qu’elle parsème de trilles impeccables et qu’elle interprète avec une ironie enjouée et un enthousiasme communicatif sous les ovations d’une salle conquise.
Au piano, Antoine Palloc, bien connu du public de L’instant lyrique, montre sa versatilité et son adéquation aux divers répertoires abordés au cours du concert. Son accompagnement solide et précis et sa complicité avec Karine Deshayes contribuent largement à la réussite de cette belle soirée.