Janáček a la cote en Europe cette saison ! Pas moins de six Jenufa sont à l’affiche dont deux en France ! Le Komische Oper de Berlin a quant à lui, fait le choix d’une d’une nouvelle production de Kát’a Kabanová. Mise en scène par Jetske Mijnssen, elle enferme le drame de la conscience de la femme au foyer, persécutée et adultère, dans une pièce unique, reproduite à cours et à jardin. La pièce – ou plutôt les pièces – défilent pour dresser des murs aussi fortuits qu’imaginaires. Le rendu est claustrophobique et l’on comprend pourquoi Katia, enfermée, piégée, finit par perdre la raison, avouer son péché et mettre fin à ses jours. Elle boit du poison et agonise pendant tout le dernier duo avec Boris. C’est là la limite de ce dispositif, qui, pour efficace qu’il puisse être, annihile tous les espaces extérieurs du livret : le jardin des rencontres amoureuses, la Volga belle et dangereuse où Katia ne trouvera pas la mort. La direction d’acteurs est soignée et permet de surmonter les incongruités occasionnées par ce choix de lieu unique.
© J. Suffner / Komische Oper
La direction de Giedre Slekyte tend l’orchestre parfois jusqu’au point de rupture : les tempi sont parfois tellement rapides que les pupitres se désunissent. Quelques pains parsèment l’exécution, même si l’ensemble est de bonne tenue. Dès que l’occasion le permet, les pages orchestrales trouvent de belles couleurs, assises sur des violons et violoncelles soyeux. La jeune cheffe ne lâche pas son plateau du regard et mène tout le monde à bon port.
La distribution réunie est dominée par les hommes : Dikoï autoritaire et sonore de Jens Larsen, Koudriach poétique de Timothy Oliver et Tichon veule et geignard de Stephan Rügamer. Magnus Vigilius s’avère convaincant en Boris, même si le timbre manque de séduction pour incarner l’amoureux. Le phrasé et la diction du ténor permettent de surpasser ces réserves. Chez les femmes Sylvia Rena Ziegler sort Glacha de l’anonymat discret où l’a confiné le livret. Susan Zarrabi, qui fait ses classes à l’Opernstudio du Komische Oper, propose une Varvara espiègle. La voix est encore un peu légère, le timbre frais et fruité. Doris Lamprecht se régale en Kabanika. Son timbre rauque croque d’emblée la belle-mère acariâtre, la projection et l’abattage font le reste.
Enfin, Annette Dasch retrouve Janáček après sa Jenůfa à Amsterdam en 2018. Le premier acte la cueille à froid : quelques menus problèmes de justesse trahissent un inconfort qu’un volume moindre confirme. Le deuxième acte, plus lyrique, lui permet de reprendre pied et d’attaquer la grande scène finale du dernier acte rassérénée. Elle y explose littéralement et retrouve volume, projection, diction et couleurs pour nous faire vivre les affres de son personnage. Scéniquement, le soprano allemand brûle les planches, comme elle en est coutumière, ce qui lui vaut une ovation nourrie aux saluts.