Le roi Arthur, Merlin et Philidel, ses associés, sont ici cantonnés dans le rôle de défenseurs de la Bretagne (la Grande !) en proie aux ambitions des Saxons, conduits pas Oswald, secondé par Grimbald, le premier convoitant aussi Emmeline, bien-aimée d’Arthur. Les pouvoirs magiques interfèrent avec les combats pour une fin heureuse, qui célèbre le pays uni et le triomphe de l’amour.
Le masque, faut-il le rappeler, s’apparente davantage à une musique de scène qu’à l’opéra. Le chant et les divertissements illustrent avant tout une action scénique complexe. Ainsi, jamais nous n’entendrons Arthur, pas plus qu’Osmond, son rival. Seuls Philidel, pour le premier, et Grimbald, pour le second participeront au chant, avec les figures allégoriques et mythiques, nymphes, sirènes, prêtres, bergers…
Comme c’était déjà le cas la veille (The fairy Queen) l’approche de Paul McCreesh danss cette version de concert de King Arthur est aussi dramatique que musicale. Le texte, sa traduction corporelle comme chantée sont au cœur de sa démarche. Le lyrisme et la force, pour être constants, n’en prennent pas pour autant les codes hérités du classicisme ou du romantisme. Tous les chanteurs sont des comédiens convaincants. Bien que privés de décors, de costumes et d’éclairages, les acteurs sont admirablement dirigés : la gestique, les mimiques de chacun suffisent à la compréhension dramatique. Dès les premières scènes, après l’intervention des prêtres saxons, après que le British warrior – merveilleux James Way – appelle les Bretons au combat, ceux-ci bondissent ensemble de leurs sièges pour lui répondre en chœur.
Le chef dirige tout par coeur et a le texte sur les lèvres. Souple, son geste clair, dansant et précis, lui permet d’animer sans cesse le discours. On oublie l’effectif, généralement plus nombreux, pour une lisibilité qui ne se démentira pas, sans que les passages brillants, martiaux soient altérés, tant l’équilibre, la puissance, la projection sont au rendez-vous. Toutes les cordes frottées jouent debout, y compris les violoncelles. L’orchestre, comme la veille, se montre animé, incisif, virtuose, bondissant comme rêveur. Les chanteurs jouent et s’amusent toujours autant. A quelques rares changements, ce sont les mêmes : si nous sommes privés de Gillian Keith et Charles Daniels, apparaît Rowan Pierce, très sûre, vive, tant vocalement que scéniquement, voix ample, épanouie, qui traduit une profonde intelligence de ses rôles, comme du texte.
Dès le premier acte, suivant les ponctuations chorales « We have sacrified » des invocations des prêtres de Wotan, Thor et Freia, la fugue « Brave souls » est magistrale, puissante et s’achève dans le recueillement. La chanson à boire qui suit, « I call you all to wooden’s hall », est truculente, avant que la bataille soit figurée par l’orchestre, commentée par le guerrier britannique et le chœur. Du deuxième acte, retenons le double chœur admirable de vie, repris après l’air de Grimbald, où chaque groupe essaie de persuader Arthur d’emprunter une direction opposée, admirable de vie. Le duo piquant de sopranos « Shepherd, leave decoying » est un régal. Du suivant, la ravissante scène du froid, avec un Cupidon facétieux (Rowan Pierce) et le Génie du froid (Ashley Riches) est stupéfiant de beauté, depuis l’air « What power are thou ? », aux railleries de Cupidon, comme au chœur « See, see, we assemble ». L’orchestre, à l’articulation contenue, est magique. Du quatrième acte retenons les deux sirènes, tentatrices d’Arthur, Sylvain et une nymphe « For love ev’ry creature » sur ostinato de quarte descendante. La chaconne « How happy the lover », la plus inventive dans ses combinaisons, est un régal. Le dernier réserve la drôlerie au dialogue de Comus et des paysans, avant que Vénus ouvre la page patriotique. Paul McCreesh ne fait pas mystère de son attachement à Beaune, de son amour des vins de Bourgogne, de ses liens à l’Europe, de son opposition au Brexit. Ce soir, la chanson à boire « Old England », avant l’ode à la nation « Fairest Isle », est l’occasion pour les musiciens, les chanteurs et le chef de brandir de petits drapeaux anglais et européens en signe d’attachement au vieux continent. Les acclamations amusées et spontanées éclatent.
Les visages, lors des saluts, en disent long sur le bonheur – contagieux – de tous les interprètes. Le public, enthousiaste se voit offrir, en bis, la fameuse chaconne dont Paul McCreesh (qui s’est éclipsé) a laissé la direction à Catherine Martin, son premier violon.