Pour sa 43e édition, le festival de Saint-Céré reste fidèle à son tropisme pour le répertoire lyrique tout en en explorant des formes et des répertoires alternatifs. Entre musique, poésie et clin d’œil au cinéma, c’est ce que propose ce « Paris at night ».
Artiste polymorphe, Jacques Prévert a utilisé de multiples médium pour s’exprimer. Sa poésie s’est faite visuelle dans ses collages et s’est trouvée transcendée dans ses apports majeurs au cinéma français. Pour « le crime de Monsieur Lange » Il collabore dès 1936 avec le compositeur Joseph Kosma, élève de Béla Bartók, assistant chef d’orchestre de l’Opéra de Budapest réfugié en France, et trouve en lui un alter-ego totalement en adéquation avec sa sensibilité. Dès lors, les deux artistes ne se quitteront plus. Kosma mettra en musique plus de cinquante poèmes de Prévert qui le cachera pendant la guerre.
Robin Melchior et Lucas Henri ont remarquablement arrangés ce répertoire pour l’effectif atypique mais pertinent de la Symphonie de Poche. Les soli attribués aux onze musiciens (en particulier flûte, accordéon et violoncelle) soulignent les raffinements harmoniques et le délicat travail de nuances qui permettent à cette musique de déployer toutes ses couleurs.
Quelques réserves sont peut-être à faire pour « Paris at night » qui prend des teintes sirupeuses alors que le propos très épuré du poème appellerait à plus de retenue.
Ceci dit, Stéphanie Varnerin observe cet équilibre délicat entre interprétation et évocation avec beaucoup de talent. Elle aquarelle à plaisir sa palette vocale pour incarner avec humour et tendresse les personnages du « Cauchemar du chauffeur de taxi » ou de « La Pêche à la baleine » – merveilleusement orchestrée. Elle sait également se mettre en retrait pour mieux servir les révoltes de l’artiste engagé comme dans « Chanson dans le sang » ou des poésie mystérieuses comme « la fille de la Concorde » ou surtout le si difficile « Inventaire ». Parfaitement articulé, le texte est toujours intelligible – ce qui est indispensable au vu du répertoire – même si la sonorisation de la voix, discrète à souhait au début de programme, s’avère trop invasive en seconde partie de soirée.
Entre l’esprit des chansonniers et une impeccable technique lyrique, la soprano sert le propos d’un timbre soyeux à l’émission franche. Sa prestation est d’autant plus remarquable qu’elle a remplacé Marie Perbost au pied levé le mois dernier, la veille d’une représentation à l’île de Ré. Elle n’interprète donc ce programme que pour la seconde fois. On lui pardonnera donc bien volontiers quelques interactions scéniques maladroites ou une interprétation un peu plate de l’hymne à la vie et à la fuite du temps que constituent les « Deux escargots s’en vont à l’enterrement » servis par l’excellent accordéon de Pierre Cussac ; cela d’autant plus qu’elle est parfaitement juste et en place. Il faut dire que Nicolas Simon est un chef soutenant, impliqué, à l’écoute, qui swingue et danse avec ses musiciens dans un plaisir communicatif. Attaques précises, gestion des contrastes, des équilibres entre les pupitres qui se répondent… Les airs comme les intermèdes orchestraux des « Enfants du paradis » de Marcel Carné ou des « Amants de Vérone » d’André Cayatte sont un vrai régal.
Plus tour de chant que spectacle, la soirée gagnerait une dimension supplémentaire à un fil rouge narratif plus fouillé dans sa mise en espace mais offre déjà un juste panorama de l’univers de Prévert et Kosma, oscillant entre dénonciation de la misère et fantaisie.