Pour un jeune homme épris de musique, la création de Pelléas et Mélisande dut avoir l’effet d’une bombe. En 1905, quand Guy de Lioncourt, natif de Caen, arriva à Paris à vingt ans et s’inscrivit à la Schola Cantorum, où il devint l’élève d’Albert Roussel et de Vincent d’Indy, nul doute que l’œuvre lyrique de Debussy était au cœur de tous les débats. Et quand, peu après son mariage avec la nièce et filleule de d’Indy, Guy de Lioncourt entreprit en 1912 de composer son opéra La Belle au bois dormant, il est tout à fait logique que sa partition ait été tout imprégnée de debussysme, mais peut-être ne pouvait-on pas s’attendre à ce que le livret même rappelle aussi fortement Pelléas. Quand le prince affronte la forêt impénétrable dont la méchante fée a entouré le château où dort la princesse, on croit entendre du pur Maeterlinck, un mélange des propos de Golaud et de son frère : « Holà ! Ho, compagnons… Je suis perdu dans cette forêt que je croyais si familière » et ainsi de suite. Dans cet opéra féerique, dont la composition s’acheva en 1915, et qui attendit 1918 pour être donné en concert à la Schola Cantorum, on entend passer l’influence de Debussy, ainsi que celle de Dukas et des maîtres dont Guy de Lioncourt avait suivi l’enseignement, mais une voix personnelle trouve aussi à s’y exprimer, avec des audaces harmoniques qui envoûtent l’oreille. Composition fascinante, en tout cas, dont il faut remercier l’Oiseleur des Longchamps de nous avoir offert la recréation, près d’un siècle après son ultime exécution (le dernier tableau fut interprété en février 1919 par les Concerts Colonne – Lamoureux). Et pour cette résurrection, la Compagnie de l’Oiseleur a vu grand : cinq solistes, mais aussi un chœur de huit chanteurs, et un accompagnement où le piano tenu avec sensibilité par Caroline Kester-Duhaut s’adjoint les précieux services de Guillaume Latour, admirable violoniste.
Un auditoire nombreux s’était déplacé, ce mercredi soir, pour venir entendre au Temple du Luxembourg non pas une, mais deux œuvres de Guy de Lioncourt, présentées par son petit-fils, l’organiste Vincent Berthier de Lioncourt, confondateur avec Philippe Beaussant du Centre de musique baroque de Versailles. En préambule à La Belle au bois dormant, on a pu ainsi écouter une Messe brève a cappella, d’une inventivité étonnante, où s’exprime notamment l’intérêt du compositeur pour le chant grégorien. S’y produisent notamment le ténor Florent Zigliani, remarqué lors de la récente soirée consacrée à Weckerlin, et la soprano Claire-Elie Tenet, à la voix claire et puissante, deux artistes qui se rangeront ensuite modestement dans le chœur dirigé de main de maître par Martin Robidoux, par ailleurs directeur de l’ensemble baroque le Vaisseau d’or.
L’exécution de La Belle au bois dormant a permis de retrouver quelques artistes bien connus, et de découvrir deux jeunes chanteurs prometteurs. Excellente idée que d’avoir confié le rôle de la fée Carabosse à la grande Guillemette Laurens, l’irremplaçable Cybèle des représentations d’Atys en 1987 : on retrouve intact tout le pouvoir d’incarnation de la mezzo à qui les personnages de méchantes vont si bien (voir son Eriphile dans Pyrrhus de Pancrace Royer). Rarement l’Oiseleur des Longchamps se sera montré aussi éloquent que dans les interventions du roi, auquel il confère une dignité et un pathétique exemplaires. Le timbre d’Amira Selim peut ne pas plaire à tout le monde, mais il n’y a rien à redire quant au style de sa fée Iris. A leurs côtés, la princesse Aurore trouve en Tosca Rousseau une interprète pleine de pudeur et de noblesse ; l’aigu pourra encore s’épanouir avec les années, mais la voix est d’ores et déjà très belle. Et les exigences du prince Charmant en termes de vaillance ne semblent nullement désarçonner le ténor Sébastien Obrecht, à l’héroïsme engageant.
Alors que le spectacle « Il était une fois », monté par le Palazzetto Bru Zane, avait révélé un extrait de La Belle au bois dormant de Charles Silver (Marseille, 1901) qui donnait diablement envie d’entendre le reste de la partition, la Compagnie de l’Oiseleur remplit une fois de plus sa mission digne d’éloges en rendant justice à un compositeur dont la postérité a surtout retenu la musique sacrée, messes et mystères. Prochain opéra ressuscité au Temple du Luxembourg : L’Amour africain d’Emile Paladilhe, le 28 février 2018, un rendez-vous que les curieux ne sauraient manquer d’honorer.