En 2015, les couplets de Pâris dans La Belle Hélène offraient à Cyrille Dubois le prix de la révélation lyrique des victoires de la musique classique. Depuis, on attendait que sonne l’heure du berger. Une version de concert de l’opéra-bouffe d’Offenbach au Théâtre des Champs-Elysées vient combler notre attente. Mais pourquoi fallait-il que l’on nous gâche la fête ?
Car tel qu’espéré, Pâris semble avoir été taillé sur mesure pour la voix de Cyrille Dubois, légère et agile, aux aigus faciles, qui se joue des « la laï tou » de la tyrolienne du troisième acte comme s’il avait été élevé au lait de vache dans les pâturages alpins, mais qui parvient aussi à caresser le « rêve d’amour » dans le bon sens du poil, souple et soyeux. Au-delà de l’adéquation des moyens à la partition, il y a la compréhension du texte, la connaissance maternelle de la langue française qui aide à donner forme et sens au mot ; il y a la caractérisation : la vanité, l’effronterie, le charme aussi. Il y a, autour de ce berger princier, des seconds rôles hautement recommandables, ne serait-ce que par leur capacité vocale et scénique à donner vie à leur personnage dans le peu de répliques imparties : un Achille bouillonnant de bêtise (Raphaël Brémard), des Ajax désopilants à manger du foin (Florent Karrer et Sahy Ratia). On a connu Oreste plus déluré même si moins en voix ; récemment sortie du conservatoire, Aliénor Feix à sa carrière devant elle pour gagner en liberté. Marc Barrard en Agamemnon et Philippe Ermelier en Calchas compensent par leur truculence l’inévitable passage des ans. Le premier interprétait déjà le « roi des rois » au Châtelet en 2015 auprès de Gaëlle Arquez en Hélène. Avec le temps, la mezzo-soprano a gagné en assurance tout en continuant d’opter pour une reine de Sparte, moins cocotte que grande dame, sans aucun de ces effets de poitrine qui s’ils ne sont pas toujours du meilleur goût peuvent tirer Hélène vers des faubourgs plus opportuns. Eric Huchet, enfin, prouve qu’on peut être un Ménélas de caractère, ridicule à souhait, et pour autant refuser tout compromis avec la partition. S’il existait un ordre du mérite offenbachien équivalent à la légion d’honneur, alors le ténor sarthois serait élevé à la dignité de grand-croix.
A trop chercher l’ivresse, Alexandre Bloch conduit souvent en état d’ébriété. Sa direction dans les ensembles mord la ligne jaune au risque du décalage mais l’Orchestre national de Lille est une cylindrée de luxe qui autorise les excès de vitesse. Le Chœur de Chambre Septentrion, masqué et en nombre limité – pour raisons sanitaires sans doute – n’atteint pas la même plénitude sonore.
© Ugo Ponte / ONL
Tous ensemble conjugués suffiraient au plaisir de la soirée si Lionel Rougerie ne s’était employé à récrire entièrement les dialogues parlés. On ne rentrera pas dans le détail d’une approche saccageuse qui tente une mise en abyme du texte de Meilhac et Halévy. De copieuses huées ont sanctionné l’adaptation lors des saluts finaux. Mais on déplore que cette réécriture bavarde du livret s’effectue au détriment de la partition, amputée de plusieurs couplets et numéros (dont la romance de Pâris au 2e acte, « je la vois » rétablie par Marc Minkowski au Châtelet en 2000).
Pour ne pas conclure sur une mauvaise note, mentionnons la prochaine coopération de Cyrille Dubois avec l’Orchestre national de Lille autour d’un album d’airs d’opéras-comiques français du 19e siècle dans lequel le ténor devrait là aussi exceller.