Ah, le plaisir de revoir les pelouses des jardins du festival de Glyndebourne ! Ni le Brexit, ni le Covid n’en sont venus à bout. Comme dans le monde d’avant, les mélomanes se retrouvent dans la campagne anglaise, là où un théâtre a été construit en pleine nature. Et avant le spectacle, comme autrefois, ils pique-niquent dans l’herbe à la manière des Lords anglais – tenue de soirée, nappes blanches, services en porcelaine et verres à champagne, paniers en osier pour transporter les victuailles.
Après leur garden party, ce soir-là, rendez-vous avec une Bohème d’une intensité rare sur le plan dramatique.
Le metteur en scène Floris Visser a créé la présence d’un personnage muet qui symbolise la mort. Tout au long du spectacle, ce personnage parcourt le plateau, avec sa silhouette squelettique, son long manteau noir, dans un éclairage en clair obscur. D’une démarche glaçante, il tourne autour de Mimi, s’en approche de plus en plus pour l’entraîner en douceur, à la fin, lorsque sur ses derniers instants Roldolfo chante son poignant « E tranquilla ».
Ce personnage reste muet sauf dans le deuxième tableau où le metteur en scène a la belle idée de lui confier le rôle de Parpignol, le vendeur de ballons rouges. Sans le savoir, les enfants jouent avec la mort ! A part le rouge des ballons, tout le reste du spectacle – décor et costumes – est de couleur grise.
Parpignol vendeur de ballons rouges © Richard Hubert Smith
Le décor est constitué de deux murs entre lesquels on imagine au I l’appartement des artistes sans le sou, au II la rue parcourue de rires et de flonflons, et au III la banlieue sordide par un matin neigeux.
Au milieu de ces cinquante nuances de gris, surgit l’éclat du chant puccinien, admirablement servi par la Mimi de Yaritza Véliz. La soprano chilienne domine la distribution, éclatante d’un bout à l’autre de sa tessiture, voix charnue, bien timbrée, gagnant en émotion au fur et à mesure que se déroule le spectacle,avec un « Donde lieta uscì » au III et un « Fingevo di dormire » au IV déchirants.
Le Rodolfo du ténor coréen Sehoon Moon réussit un même crescendo émotionnel, du premier au dernier tableau, même si on préférerait un timbre plus « italien ». La voix est belle, colorée, les aigus sont brillants, toujours justes, attaqués sans forcer, avec aisance.
En Musette, la voix fluide et fruitée, ainsi que la présence radieuse de la soprano sud africaine Vuvu Mpofu font également mouche.
Autour de Roldolfo, un trio de joyeux camarades : trois belles voix graves plus verdiennes que pucciniennes, qui assument brillamment leurs rôles. Daniel Scofield donne du caractère à son personnage de Marcello. Le bulgare Ivo Stanchev fait vibrer le beau bronze de sa voix notamment dans son « Vecchia zimarra, senti ». Le sud-africain Luthando Qave propose un Schaunard en adéquation vocale et physique avec le rôle.
Globalement admirable, la direction de Jordan De Souza à la tête d’un London Philharmonic parfois raide aurait sans doute gagné à adopter des tempos plus rapides.
Au tomber de rideau, La salle explose en bravos avant que, dans la nuit tombante, on voit les robes longues et les nœuds papillons s’éloigner dans la campagne, quittant le gris de la scène pour le green des prairies.