Mariame Clément dans sa note d’intention précise: « Eluder le réalisme, c’est trahir ce qui est essentiel à l’œuvre, mais en visant la reconstitution parfaite, on risque de se perdre dans les détails ». Pour y arriver, le metteur en scène souhaite « faire une Bohème “en costume”, réaliste en apparence, mais qui prend parfois des libertés avec le réel – dans les décors, les transitions ou les scènes de foule… » Si l’idée est alléchante, tient-elle toutes ces promesses ?
La scénographie, somme toute classique, évolue de manière ingénieuse entre les différents tableaux. En atteste le mobilier de la mansarde qui s’envole avant de disparaître durant l’explosion musicale finale de la première partie. La scène de foule du quartier latin et du café Momus est admirablement dirigée. Portant des masques et exécutant des mouvements chorégraphiques qui se répètent, le chœur fantasmagorique fait bel effet. On comprend vite que Mariame Clément cherche à atteindre un équilibre entre réalisme et rêverie. Mais si certaines scènes frappent juste, d’autres en revanche étonnent au risque de dénaturer l’essence même de l’œuvre. Pourquoi montrer une fille en tenue légère, déambulant d’un bohémien à l’autre dans la mansarde du premier tableau ? La plastique est parfaite, mais cette présence féminine entrave la complicité sincère qui unit les quatre compères. Faire traverser la scène par un Père Noël sur un traineau dans le deuxième tableau ou illustrer des ouvriers en train d’enlever des cagettes dans le troisième sont également des propositions discutables.
La distribution réunie pour l’occasion est néanmoins à saluer. Commençons par Julianne Borg qui interprète Mimi avec un naturel que l’on aime. Sans être frêle, ni appuyé, le personnage apparaît ici sous les traits d’une femme consciente des difficultés de la vie. Technique maîtrisée, timbre chaleureux, l’interprétation dans sa simplicité évite tout pathos. Victoria Joyce incarne Musetta avec « brio », « élégance » et « finesse », tel que le souhaitait Puccini (excepté, évidemment, lorsqu’elle dépose son pied sur la table du café). Son agilité et son étendue vocales traduisent exactement l’excentricité de la jeune coquette. Des caractéristiques que la soprano fait évoluer dans le dernier tableau pour exposer la générosité du rôle. Poignante, son ultime prière est interprétée dans un silence religieux.
En ce qui concerne les voix masculines, Michael Fabiano interprète le rôle de Rodolfo avec assurance malgré quelques aigus incertains. On apprécie surtout la façon dont il nuance sa voix en fonction des diverses émotions qu’il exprime. En Marcello, le regard ténébreux d’Ales Jenis, à l’instar de son timbre, vise juste. Comme celui de son partenaire, le chant se colore au fur et à mesure que le personnage s’humanise, du jeune bohème insouciant au premier tableau à l’amant malheureux du dernier. Kevin Greenlaw en Schaunard et Christian Helmer en Colline complètent cette bande de copains tout en affirmant leur personnalité, scénique et vocale. A souligner une saisissante interprétation par ce dernier d’un « Vecchia Zimarra » chargé d’intentions. Le legato, surtout, est admirable.
La direction légèrement fragile de Jérôme Kaltenbach tente d’habiller l’œuvre de ses différentes couleurs. On sent une réelle volonté de mettre en relief les caractères des personnages, leur évolution psychologique ainsi que l’atmosphère typiquement parisienne qui, selon Debussy, est si bien décrite dans la partition… revers de la médaille : le chef, préoccupé par l’orchestre, oublie de soutenir les chanteurs et on relève de nombreux décalages, notamment dans les principaux airs.
Malgré ces quelques couacs scéniques et instrumentaux, les commentaires à la sortie sont très enthousiastes. Voilà qui peut conforter Angela Gheorghiu quand elle déclarait, à l’occasion d’une interview réalisée par Renée Fleming1 : « La Bohème plait au public puisque c’est une œuvre qui permet à chacun de s’y retrouver ».
1 DVD La Bohème – Metropolitan Opera New York 2008