Créée en 2007 et reprogrammée en 2014 à Bordeaux, la mémorable mise en scène de La Bohème par Laurent Laffargue doit sa plus large audience au septième art car elle fut la première production en région diffusée simultanément en direct dans de nombreuses salles de cinéma en France. Quoi qu’il en soit, rien ne remplace l’émotion que procure le spectacle vivant. Après Bordeaux, c’est donc aujourd’hui le vaste plateau et les équipements de l’Opéra de Rouen qui accueillent, avec une distribution entièrement renouvelée et leurs propres forces orchestrales et chorales, les quatre tableaux d’un opéra rajeuni, endiablé et émouvant. Dans un entretien publié dans le programme de salle, Laurent Laffargue, comédien lui-même, explique qu’à l’opéra comme au théâtre, il s’agit de mettre en vie et en action des gens, plus que de les mettre en place : « J’ai essayé de monter cette Bohème avec tendresse […] de mettre de la joie dans l’horreur car j’admire le courage de ces jeunes gens […] Puccini parvient avec sa musique à magnifier la tristesse. […] Qu’est-ce que l’amour, l’espoir, la souffrance, la liberté ? ». Notons que pour Laffargue, déplacer l’époque du livret des années1830 aux mois qui précédèrent les événements de mai 1968, à un moment où la jeunesse était prête à se révolter, permet de rendre cette histoire surannée et ses thèmes universels plus proche du public actuel.
© Jean Pouget
Si La Bohême est encore aujourd’hui l’un des opéras les plus joués au monde, c’est que sa partition, avec ses motifs associés aux personnages et au déroulement de l’action est à la fois simple et sophistiquée. Sous la conduite maîtrisée de Leo Hussain, l’engagement des instrumentistes atteint ce climax poignant voulu par Puccini. Et comment ne pas avoir le cœur serré quand Mimi fait semblant de dormir afin de rester seule avec Rodolfo, tandis que les gémissements des violons se font déchirants et que le fracas des cuivres exprime la violence d’une séparation imposée par la mort.
Sans être inoubliables, mais tous à l’aise dans une mise en scène qui privilégie le naturel, les chanteurs tiennent leurs rôles respectifs avec talent et servent de leur mieux ce livret mince mais plutôt bien ficelé. Avec son soprano caressant bien posé, Anna Patalong est une Mimi attachante sans aucune mièvrerie à la fois ardente et fragile. Déjà entendue à Rouen dans le rôle titre de La Finta Giardiniera, Olivia Doray, à la voix fraîche et bien timbrée et à l’excellente diction, campe une charmante Musetta. Côté masculin, Allessandro Liberatore, entendu ici même en 2012 dans La Traviata n’a rien perdu de sa solide technique ni de sa puissance vocale — un peu tonitruante parfois. Le peintre Marcello est interprété par William Berger. Son indéniable présence et son baryton chaleureux conviennent bien à ce personnage sympathique. Enfin, déjà remarqué à Bordeaux dans Angelotti de Tosca, en 2009, année où il fut lauréat des Victoires de la musique, le baryton-basse Yuri Kussin rafle une belle salve d’applaudissements pour le fameux « air du manteau » qui fait toujours un tabac.