Échaudés par le raffut autour de Guillaume Tell à Londres ? Agacés par ces metteurs en scène qui s’autorisent à détourner le propos d’une œuvre pour mieux asséner leurs vérités ? Excédés par les profanateurs de didascalies ? Courez à Turin ! L’exposition universelle de Milan a motivé du 9 au 26 juillet un festival intitulé « The best of Italian opera » – en anglais dans le titre pour attirer un public le plus international possible. On y reprend La bohème mise en scène par Vittorio Borrelli, d’une fidélité quasi zeffirellienne au livret : mansarde, Café Momus, Barrière d’Enfer fidèlement représentés et habilement enchaînés au moyen d’une tournette dans un parti pris esthétique inspiré par Poulbot auquel il est permis de ne pas adhérer. Tout aride qu’il puisse parfois paraitre, le dépouillement conceptuel a pour vertu de reposer l’œil. La gestion du mouvement obéit à la même règle scrupuleuse, soucieuse de conformer chaque geste à la situation décrite littéralement et musicalement. C’est alors La bohème, traditionnelle, éternelle, qui se rejoue devant un public conforté dans ses habitudes et, à en juger par l’enthousiasme final, ravi de l’être.
A moins de trente ans, Andrea Battistoni est encore un gamin. Sa direction n’en expose pas moins une maturité, réjouissante par la précision et l’exaltation de sonorités à la magie préservée. Faut-il rappeler que l’œuvre vit le jour il y a plus d’un siècle dans ce même théâtre – détruit par un incendie et reconstruit depuis ? Chœurs et orchestre semblent s’en souvenir tant la musique s’écoule naturelle.
Les chanteurs ont passé l’âge de perdre leurs illusions mais possèdent suffisamment de métier pour rejouer une histoire qu’ils connaissent par cœur. Riccardo Zanellato est ce Colline à la voix enveloppante dont le vieux manteau, salué tendrement, continue de faire couler une larme. Maria Teresa Leva chante encore Musetta sans l’ombre d’une difficulté quand son soprano ample et généreux évoque à présent Mimi – qu’elle devrait d’ailleurs interpréter à Cremone en octobre, en attendant Violetta l’année prochaine à Liège. Markus Werba interprète un Marcello juvénile, trop presque dans ce contexte. Rodolfo ne correspond plus exactement à la voix de Stefano Secco depuis que le ténor a alourdi son répertoire. Le timbre s’est durci, l’aigu atteint ses limites et les nuances se font rares mais la sincérité demeure. Surtout, Barbara Frittoli en remontre à tous ceux qui seraient tentés d’ironiser sur une Mimi plus expérimentée que ne le veut l’histoire. Le vibrato est maîtrisé, les couleurs automnales participent à l’interprétation et la richesse des inflexions – le soin porté à chaque mot, la juste utilisation du volume et des appuis – prouve que la soprano fait désormais partie du petit clan de celles dont chaque intervention se transforme en leçon de chant.
Expérience et tradition : les deux mamelles de l’opéra d’un autre temps ? Pourtant, le public en ce soir d’ouverture du festival est beaucoup plus jeune que la veille à Orange et l’avant-veille à Aix. Voilà qui apportera de l’eau au moulin des contempteurs de la modernité scénique, sans nous convaincre cependant de rallier leur camp.