Giovanni Battista PERGOLESI (1710-1736)
La Fenice sul rogo
ovvero La Morte di S. Giuseppe
Melodramma d’Antonio Maria Paolucci
Première exécution à Naples le 19 mars 1731
Amor divino : Roberta Invernizzi
San Michele : Pamela Lucciarini
Maria Santissima : Sonia Prina
San Giuseppe : Ferdinand Von Bothmer
Ensemble Europa Galante
Direction musicale, Fabio Biondi
Jesi, le 13 juin 2010
La bonne mort
On a quelque peine, aujourd’hui que bon nombre d’églises sont désaffectées ou dépeuplées, à imaginer à quel point la production musicale intense de Naples dans la première moitié du XVIIIe siècle était quantitativement liée à la vie religieuse. Entre églises, chapelles, congrégations, confréries, c’était à qui proposerait la plus belle composition musicale et vocale, et les créations se succédaient. Dans ce climat de concurrence, pour embellir les cérémonies, glorifier Dieu et peut-être capter la générosité des fidèles, le caractère édifiant des pièces devait revêtir les atours les plus séduisants Ce mélodrame sacré, en fait un oratorio, en témoigne.
Il est l’oeuvre d’un Pergolesi âgé de 21 ans, qui achève ses études au Conservatoire des Pauvres de Jésus-Christ, seul établissement napolitain d’enseignement musical dirigé par des religieux. La Congrégation de Saint-Joseph, saint particulièrement vénéré à Naples, d’autant que ce prénom est souvent porté dans la famille impériale autrichienne, à qui la ville est soumise, veut lui dédier une composition nouvelle et choisit pour l’écrire l’élève le plus brillant, déjà réputé pour sa virtuosité de violoniste.
Le thème de la mort de Joseph, l’époux de Marie et le père nourricier de Jésus, permet de rappeler aux croyants que la mort n’est que le passage permettant d’accéder sans fin à l’amour de Dieu. L’auteur du livret imagine d’entourer le mourant de trois personnages destinés à l’encourager. Deux sont des extraterrestres, l’Amour divin et l’Archange saint Michel ; ils sont les mieux placés pour parler au mortel de l’au-delà, et du désir que le croyant doit éprouver de mourir puisque ainsi il va retrouver Dieu. Le troisième est Marie, la compagne terrestre du mourant et la mère de l’enfant qu’ils ont élevé ; élue de Dieu, elle n’éprouve évidemment aucune appréhension à l’idée de la mort et presse Joseph de se réjouir. Or Joseph, à l’heure de la rencontre fatidique, se reproche de n’avoir pas assez aimé cet enfant dont il n’était pas le géniteur. Marie affirme alors qu’il n’a rien à se reprocher, et que sa mort, bien au contraire, viendra couronner sa vie de soumission aux desseins divins en le faisant entrer dans l’Amour infini.
La mort fait-elle peur à Naples, entre fatalisme et familiarité avec les dépouilles conservées dans les catacombes ? Ce que l’on redoute, c’est la mauvaise mort, ces tourments de la conscience qui font de l’agonie l’antichambre de l’enfer. Cet oratorio permet au croyant de se rassurer ; tout pêcheur peut prétendre à la miséricorde. Ce Joseph aux troubles si compréhensibles et si humains, c’est l’homme ordinaire invité à consentir à sa mort comme on s’abandonne à l’amour. La métaphore du phénix sur la bûcher, lieu commun de la renaissance et de la vie éternelle, est là pour le rassurer.
Le discours s’adresse à l’esprit ; il peut convaincre ; mais c’est à la musique d’emporter l’adhésion. A nos oreilles l’extraordinaire composition de Pergolesi peut sonner étrangement profane, voire frivole, tant les rythmes enchaînés et les prouesses requises des solistes, instrumentistes et chanteurs, s’éloignent parfois des lenteurs associées à l’idée de méditation et de recueillement. Justement il ne s’agit pas de cela, mais bien d’une célébration solennelle pour la fête du saint. D’où le brillant, l’allant, le rapide, car il s’agit de ravir et d’emporter, la conviction et le morceau. Le jeune musicien a parfaitement compris les enjeux : le fidèle doit être exalté. Ainsi la musique est-elle agent actif du mouvement de transport qui fera des auditeurs des émules de Joseph, désireux d’une mort pareille.
C’est tout le talent des interprètes rassemblés au théâtre Moriconi – celui-là même qui avait accueilli Il Flaminio – que de donner à l’oratorio élan et séduction intrinsèques. Certes, Ferdinand Von Bothmer, que nous avons entendu en meilleure forme, n’est pas ce soir là en mesure de rendre justice au rôle de Joseph, tant la voix est serrée, les aigus laborieux et la justesse approximative. C’est d’autant plus regrettable que ses partenaires volent très haut Roberta Invernizzi, la grande styliste que l’on connaît, soutient les rythmes les plus rapides, quelquefois au risque que le chant frôle le cri. Pamela Lucciarini émerveille par la longueur, la souplesse, le velouté, l’agilité d’une voix rompue aux sauts d’octave, aux trilles, aux tenues. Sonia Prina enfin épate par la chaleur du timbre, la rondeur, les couleurs, l’inventivité des da capo et une expressivité sans rivale.
Maître d’œuvre à la tête de son ensemble Europa Galante, Fabio Bondi fascine lui aussi, aussi bien comme violon soliste que comme chef d’orchestre. Sous sa direction, c’est un sentiment d’urgence et de travail sans filet que donne cette exécution. Elle vibre d’un frémissement constant, d’une agitation vitale, et nous laisse enfin transporté par tant d’art et d’intelligence. Sans oublier que des solistes de premier plan, théorbe, hautbois, violoncelle, il faudrait les citer tous, font de la musique de Pergolesi où passent des anticipations du Stabat Mater, un sortilège envoûtant. Comment s’étonner que le public les ait acclamés sans se lasser ?
On aurait donc quitté Jesi dans l’euphorie et la perspective des prochaines manifestations de septembre si l’annonce de nouvelles restrictions financières affectant massivement les célébrations en dehors de celles consacrées à Cavour n’était venue assombrir la perspective. Faudrait-il donc que tous les étrangers présents s’adressent aux institutions ultramontaines pour leur dire l’importance essentielle de l’activité musicale et lyrique dans la péninsule aux yeux des amoureux de la culture italienne ?
Maurice Salles