Créé en 1924 in loco et repris dès l’année suivante sous la baguette de Toscanini, la cena delle beffe d’Umberto Giordano n’avait pas retrouvé l’affiche du Teatro alla Scala depuis plus de quatre-vingt dix ans. Est-ce parce qu’il s’agit d’une œuvre mineure de son compositeur où l’on attend trop longtemps les belles pages (le duo d’amour du deuxième acte, le dernier acte) et où l’on a l’impression d’entendre encore et encore les mêmes morceaux de bravoure (les rôles de Giannetto et Neri en particulier) sur le même crescendo orchestral ? D’autant que l’époque de la composition, riche et novatrice, ne plaide guère en faveur de cette farce tragique aux accents de vérisme tardif.
Véristes, les interprètes de ce soir le sont pour la plupart. Marco Berti trouve en Giannetto un rôle où il peut donner libre cours à son volume décoiffant, avec là encore les défauts qu’on lui connaît : une émission systématiquement forte à l’aigu, une quasi absence de coloration et des attaques à la justesse aléatoire. Restent à son crédit sa bravoure et une incarnation crédible du lâche vengeur. Son rival Neri est lui défendu par un Nicola Alaimo convaincant : volumineux lui aussi, mais canalisé dans un chant bien plus expressif et nuancé et un charisme certain dans ce personnage de parrain (l’action est transposée à Little Italy à l’époque de la Prohibition). Kristin Lewis inquiète tout d’abord. Sa Ginevra est peu audible et la ligne chahutée. Puis elle se rattrape dans le duo du deuxième acte par un surcroît de musicalité et des nuances qui valorisent une voix plus corsé qu’on ne l’avait cru. Lisabetta se différencie, elle, immédiatement par une voix claire et bien projetée, le rôle est court mais Jessica Nuccio parvient à charmer en peu de temps, tout comme Cintia la camériste (Chiarra Isotton) qui ne manque pas d’abattage. Gabriello, restera définitivement dans l’ombre de son frère Neri, tant Leonardo Caimi manque de projection, même pour ses quelques répliques au premier acte. Un défaut que partage dans une moindre mesure le Tornaquinci de Luciano di Pasquale. Moment délicieux enfin que cette romance nocturne de la dernière scène, interprétée presque piano depuis la coulisse par Edoardo Milletti.
© Teatro alla Scala
Carlo Rizzi tente d’alléger comme il peut une partition rapidement volumineuse, en cherchant ça et là des détails. Las, il souffre de la comparaison avec ce que l’on a entendu la veille dans cette même fosse. Le manque d’avarice en décibels des deux chanteurs principaux éteindra rapidement toute velléité de nuances.
Le cinéaste Mario Martone prend, on l’a dit, quelque liberté avec le livret. Foin du chevalier qui part morigéner les bas quartiers de Florence en armure et fini interné par les hommes des Médicis. Neri devient chef de bande et toute cette vilaine farce se terminera dans un bain de sang : Lisabetta, sa nouvelle amante après les infidélités de Ginevra, décanille l’assemblée à la sulfateuse, ce qui a le mérite de la vraisemblance compte tenu du caractère sanguin de Neri et à la situation dans laquelle il est (il vient de trucider son propre frère qui était dans les bras de sa femme). Outre cette relecture, le metteur en scène règle avec précision et réalisme le jeu de ses interprètes. Il propose dans un décors à trois étages (la maison de Ginvera, une salle de restaurant, et un sous-sol en guise d’asile) de nombreuses contre-scènes qui épicent la représentation, telles les pauses cigarettes des serveurs maladroits du premier acte, où cette femme de chambre qui fantasme sur un amant pendant tout le duo d’amour.